Au commencement

La Fabrique des idoles

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On peut d’abord être un peu inquiété par l’ampleur du programme. « Interroger notre insatiable besoin de croire » depuis le Big Bang, l’ambition paraît énorme. D’autant que la fabrique des idoles, comme leur crépuscule, est un terrain qui a été maintes fois foulé et il devient difficile d’occuper le thème sans laisser une impression de déjà-vu ou de compilation de commentaires.

On est vite rassuré. Les comédiens instaurent d’emblée une complicité avec le public, une adresse directe, quelques provocations et une autodérision savoureuse sur leur irréalisable mais nécessaire projet. Finalement, ce sont tous ces semblants de conversation, ces décrochages un rien déroutants qui embarquent. Où arrive-t-on exactement, difficile de le dire. Mais la légèreté et la poésie peuvent aller de pair, déjà ça, ce n’est pas rien, quand ça arrive, quand ça se mélange. Et lorsque les deux s’utilisent pour aborder des sujets politiques, là, il se passe quelque chose.

Sous des dehors faciles et joueurs, MegaSuperThéâtre et Théodore Oliver font beaucoup. En fait, tout – la pièce, les acteurs, les costumes – sonne juste, et rapproche de nous tous les récits choisis. On se laisse faire, on traverse la galerie d’idoles sans plus se méfier. Il y a du monde, Roland, comme dans la chanson, Charles Manson, comme le chanteur, le pas de Neil Armstrong, puis le veau d’or de Poussin ou le chagrin de la Vierge Marie (merveilleuse scène), même Elizabeth Holmes est là… vraiment beaucoup de monde.

Et à la fin, les comédiens se – nous – demandent si, avec tout ça, ils n’ont pas fait qu’alimenter la machine ? Est-ce qu’en critiquant tous ces récits, toutes ces idoles, on ne continue pas à les intégrer ? Le rejet viendrait autant que l’adhésion ratifier l’autorité de ces histoires qui nous composent ? Elles seraient le bain actif dans lequel trempe toute la culture. La critique n’y changerait rien, puisqu’elle ne peut se formuler que de l’intérieur, contenue et comprise par elles. On a suivi les acteurs jusque-là, et il s’en faut de peu pour qu’on les croie jusqu’à la fin. Avec eux, on s’inquiète de tout ce qui vient de se passer : on rejoue ces histoires, ces récits, au lieu d’en inventer, on leur donne toujours plus de place et ça ne crée aucun élan ?

On y croit, un instant. Parce que c’est formulé comme une vérité. Mais transformer les moyens de voir, parler, penser peut prendre tant de formes. MegaSuperThéâtre, à sa manière, rejoint ce simple et si complexe geste : nommer, pointer du doigt, ce qui s’est présenté à tort et depuis trop longtemps sous une forme naturelle, déplacer certaines évidences et aménager un nouvel espace pour l’appréciation du sens commun, permettre à l’esprit d’être occupé autrement et de formuler d’autres symboles.

MegaSuperThéâtre et Théodore Oliver élargissent le choix des fictions disponibles (il faut aller voir leur site internet aussi). Ils construisent une sorte de nouveau lexique, comme tant de luttes nouvelles, et notamment dans la langue, dans le repli de laquelle tant de croyances symboliques et de sournoises idoles s’enroulent. Une appropriation critique est nécessairement interne mais n’en est pas moins efficace, précisément parce qu’elle modifie de l’intérieur notre rapport aux récits. Le foisonnement des néologismes et des déconstructions actuelles est un élan, cette pièce de théâtre est un élan. Chacun lutte comme il peut pour permettre une intelligibilité nouvelle des fictions dont on ne veut plus, et faire émerger celles dont on a besoin. Au commencement ça ne paraît rien, et puis avec le temps ça s’impose et tout est changé. À tout prendre, cette fiction-là fait envie.