Homo humilis

Phoenix

Noémie Goudal. Image extraite de la vidéo « Below the Deep South », 2021. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la galerie Les filles du calvaire.

Dans la chapelle, l’atmosphère est tropicale, humide et étouffante. Les yeux s’accoutument à la pénombre pour identifier des feuilles et des palmiers, des lambeaux de forêt, jusqu’à distinguer au loin un lent incendie – dans l’ancienne abside, sous le regard placide de Dieu, la jungle brûle. « Phoenix », la dernière exposition de Noémie Goudal, a une nouvelle fois trait aux éléments, l’eau et l’air, la terre, le feu.

Passionnée de paléoclimatologie, la photographe plasticienne nous convie à une réflexion anthropologique et écologique sur notre place dans la nature, notre perception du monde. L’étude du passé de la Terre, son climat et sa géologie, c’est la boule de cristal de l’avenir. Phénix : « Oiseau fabuleux, qui vivait plusieurs siècles, se brûlait lui-même sur un bûcher et renaissait de ses cendres. (Le mythe a pour origine le culte du héron cendré, adoré par les Égyptiens pour sa présence au retour de la crue du Nil) », dixit le Larousse. Mythe, cycle de la création, catastrophe et éternité : un vaste programme, baroque en perspective. Projeté sur un très grand panneau, le spectacle de la forêt en feu n’est qu’une illusion qui se consume sous nos yeux. Les arbres brûlent, le papier brûle – tout le décor en trompe-l’œil. Et ça continue sans fin, on continue de tout brûler, aux quatre coins de la toile planétaire. Jusqu’à ce que les papiers tombent et mettent à nu la vérité, les châssis de la pièce à machines. Et des oiseaux de feu s’abattent, comme une nouvelle plaie d’Égypte, sous les chants ironiques et les sifflements de la bande-son. Entre présent brûlant et futur, la mise en abyme laisse entrevoir l’Apocalypse. L’Apocalypse, c’est la révélation de notre bêtise anthropocentriste, qui fige la nature dans des cartes et des cadres arbitraires. Le monde est pourtant une branloire pérenne, tout bouge, les eaux et les continents, comme le met en scène l’installation « Inhale Exhale », qui construit et déconstruit avec humour un faux décor naturel – au fond, il n’y a que nous, les humains, de coincés entre les grilles de l’expo, nos paradigmes et nos frontières. Pour Noémie Goudal, les rythmes et les mouvements à l’échelle de la Terre signalent notre insignifiance vertigineuse. Ils invitent à l’humilité.

Retournons donc au commencement – au seuil de la chapelle. Phoenix, c’est aussi le nom de Phoenix atlantica, une variété de palmiers d’Amérique latine et d’Afrique de l’Ouest – indice que, jadis, les deux continents n’en formaient qu’un, Atlantica. La série « Phoenix » représente des tirages à hauteur d’arbre. Mais attention : un arbre peut en cacher un autre. Les installations très grand format – paysages disloqués et mouvants, fabriqués artisanalement avec des bandes de papier imprimé – sont photographiées de nuit devant les palmiers réels. La nature lacérée, débitée par l’homme devient un patchwork décoratif, un motif de papier peint. Sur certains, il vire au puzzle, au labyrinthe infernal. Une nouvelle façon de dénoncer la mainmise artificielle de l’homme sur la nature ? De signifier l’incomplétude de l’art sans la nature protéiforme ? Ce qui est sûr, c’est que Noémie Goudal l’inspirée nous invite à admirer, le souffle coupé par la beauté et l’effroi, le sublime du spectacle qui nous dépasse – la respiration profonde du monde, avant notre expiration.