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Sous couvert de pathos outre mesure, « Funeral », du collectif flamand Ontreorend Goed, aménage une étrange cérémonie immersive où la dépersonnification est le moteur d’une mise à distance thérapeutique.

« Funeral » consiste pour bonne partie à intégrer les actions du public dans le déroulement d’une cérémonie : chaque étape avant qu’un spectacle ne débute (attendre dans un hall, rentrer dans une salle, choisir une place et s’assoir) est dûment sacralisée (chanter ensemble en attendant, se laver les mains en rentrant, serrer la main à chacun en choisissant une place) — si bien que cette antichambre dramatique présume d’une magistrale cérémonie. Il n’en est rien, et c’est le projet de « Funeral » : la cérémonie introduit un vide, ou du moins elle ne concerne personne. On y mettra donc ce qu’on voudra : le souvenir d’une personne chère peut-être (à l’entrée, un carnet pour l’écrire) — car outre le titre, l’ambiance invite au recueillement : les préparatifs ont mobilisé les corps joyeux, la cérémonie s’adressera aux esprits meurtris.

À première vue, le choix d’Ontrorend Goed est un pari presque rédhibitoire : complexe de prétendre à l’universel sans prendre racine sur le particulier, et la cérémonie, assez abstraite, prend le risque de vouloir parler à tout le monde — bref, à personne. En témoigne une scène où l’excellent Josse de Pauw décrit plusieurs objets disposés dans un carton : ceux-ci ont l’air d’appartenir à quelqu’un dont ce n’est qu’à moitié l’enterrement, pour une raison simple : il n’y a pas de corps. Le mort est le grand absent de “Funeral” ; il est, on l’a compris, en nous. À l’exception de ladite scène, qui personnalise un peu la cérémonie, on ne sait si le reste prétend d’être sobre pour cacher qu’il est pauvre : les motifs sont un peu cheap (type lancer des confettis pour symboliser le cycle de la vie), voire carrément clichés (le combo odeur de palo santo et musique ésotérique)… Toujours le même problème d’universalisation : car outre l’introduction et la conclusion, le rite en lui-même — avec objet, mais sans sujet —, ne dure que quelques minutes. Ou plutôt fallait-il comprendre que l’entrée et la sortie en sont le coeur battant : le chemin vers la cérémonie est déjà la cérémonie, la cérémonie est déjà terminée quand elle commence, etc.

Une chose étonne cependant dans cette dramaturgie un peu rebattue : le produit lacrymogène qui, pour les plus téméraires, est distribué aux participants — nous, en gros… Et en l’occurrence les acteurs, qui prennent des airs de pleureuses modernes : d’un coup une distance naît, le rituel reste construit, artificiel. C’est peut-être ce que permet « Funeral » avec cette étrange projet de cérémonie évidée : une mise à distance que le particulier, parce qu’il bouleverse trop, échoue souvent à atteindre. Amusant pour un dispositif qui a, en dépit de ses faiblesses, le courage d’instrumentaliser la théâtralité immersive souvent pathos pour aménager une sorte de recul thérapeutique face à une cérémonie dépersonnifiée, une sorte de distance de sécurité qu’on n’aurait pas imaginée provenant d’un linceul.