© Darek Szuster

Dans chaque spectacle du Munstrum, le comique est un revers indissociable de la noirceur, aussi timide que jubilatoire quand il sublime, en héritier du Grand-Guignol, le gore et l’horreur des univers de Mayenburg, Copi ou encore de Keiss. Dans « Clownstrum », une fois n’est pas coutume, le monde post-apocalyptique lui est subordonné : il est devenu une toile de fond pour le rire roi.

Dans un espace in situ qui se réinvente à chaque exploitation, deux survivants à l’esprit sans aucun doute plus poussiéreux que le sol – c’est dire -, se chamaillent autour d’une « zone » déserte. Pour eux, dont l’écho du monde disparu a rongé la raison, chaque objet est l’occasion d’un ressouvenir annonciateur de la catastrophe, bien sûr, climatique (canicule, sécheresse & pénuries) : pommeau de douche ou encore bouteilles d’eau, qui à présent toutes sont vides, éparpillées sur sol ou empilées dans des conteneurs. Mais un dernier clown au nez rouge poussière émerge de l’un d’entre eux : c’est un peu plus chez elle, pour preuve elle parle au squelette de son mari et berce son charmant cadavre d’enfant. Trio de chamaillerie, « Clownstrum » reprend ainsi tout autant qu’il détourne avec brio les motifs du clown, dont le nez devient, on ne s’en étonne pas, un énième masque comme le Munstrum sait les manier. 

Même si « Clownstrum » n’a pas l’ambition de rivaliser dramaturgiquement avec une oeuvre comme « Zypher Z », les trois protagonistes, durant leurs altercations, cherchent tout de même à profiter de la fin du monde pour « rouvrir le temps », comme l’écrit Jean-Paul Engélibert : souvent le post-apo est un laboratoire pour l’imagination politique. S’ils ont l’intelligence, pour le dire de manière un peu manichéenne, d’échapper à la dystopie ringarde autant qu’à l’utopie mollassonne (puisqu’une certaine science-fiction du bon citoyen devient à la mode), il faut bien dire que les personnages, obsédés par le monde d’avant, sont seulement capables de reproduire en caricaturant les rapports de pouvoir du capitalisme contemporain — si bien que, disons-le, « Clownstrum » décrit surtout le « temps de la fin » qu’est notre présent. Pour ergoter, le spectacle se situe plutôt dans une sorte de « proto-post-apo » — c’est-à-dire un temps où la déflagration est encore trop proche, à y voir la dernière image, pour que les hommes ne la nient pas : en l’état le spectacle est un anti-vademecum, un guide de ce qu’il ne faudrait pas faire pour recréer une société, c’est-à-dire exactement comme avant. Bien sûr les clowns échouent à révolutionner le monde, et le spectateur, à qui s’adresse métaphoriquement le troisième clown en écrivant aux « suivants », persévère donc dans une souveraine ignorance qui, si elle a le mérite de ne pas le moraliser, ne politise pas tout à fait non plus le futur. À défaut, c’est peut-être le seul regret de « Clownstrum » qui, puisqu’il parle bien du capitalisme, n’utilise pas la splendide remise à zéro qu’est l’apocalypse pour explorer plus en profondeur l’éventualité d’une émancipation — car en l’état l’ouvrier et le patron sont exactement les mêmes bougres… Du reste, le spectacle, qui a la bonne idée de s’adresser à un public plus large sans ménager un certain humour noir, engendre tout de même aisément ce qu’il cherchait : des rires francs surgis du désespoir le plus profond.