(c) Katja Illner

Invité à collaborer avec l’Opera Ballet Vlaanderen, le chorégraphe belge Jan Martens a proposé “Futur proche”, programmé notamment dans la Cour d’honneur à Avignon en 2022, sa dernière présentation ayant eu lieu à la RuhrTriennale. “Futur proche”est une exploration des défis contemporains tels que le changement climatique, les pandémies et les tensions sociales. Pourtant, malgré les intentions affichées, cette création oscille entre une rigueur formelle louable et une profondeur politique discutable.

Au cœur de la pièce, le clavecin de Gośka Isphording, spécialiste des instruments anciens, déploie une partition contemporaine qui accompagne les 17 interprètes dans un jeu de mouvements savamment orchestré. Le clavecin se voit offrir ici un rôle central, devenant l’axe autour duquel gravite l’action scénique, une première référence formelle qui semble fortement renvoyer à Anne Teresa de Keersmaeker=. La claveciniste est assise sur un banc en bois immense dont les planches rappellent une portée musicale, et sur lequel les danseurs semblent déposés comme des notes. Un enchaînement de micro-solos se déroule, les danseurs paraissant suivre chaque note du clavecin, ne faire qu’un avec l’instrument, incarnation parfait de la musique jouée.

La deuxième séquence, où les danseurs forment des cercles autour du banc central, évoque à nouveau inévitablement les œuvres d’Anne Teresa de Keersmaeker. Le parallèle est troublant, tant par la structure chorégraphique que par l’utilisation d’une musique minimaliste. Cette citation est si forte qu’elle en perturbe l’expérience du spectateur, donnant plus l’impression d’un hommage que d’une proposition singulière.

Lors d’un moment intriguant, un des danseurs dépose une caméra au sol, dont l’image est projetée en grand sur le fond de la scène, et les danseurs dansent dos à nous pour la caméra. Le chorégraphe semble se pencher sur l’expérience contemporaine la plus répandue du mouvement, soit à travers un écran, et il réussit à nous confronter à ce que cette interface transforme dans l’espace, les corps et les intentions des danseurs. Un autre moment qui se distingue : les danseurs se baignent à tour de rôle, par groupes de quatre, dans une cuve d’eau, incarnant ainsi l’intention de Martens de traiter des questions écologiques. Pourtant, cette scène, chorégraphiée avec une lenteur cérémonielle ou chacun se mouille la nuque parfaitement sur les temps, semble esthétiser la crise plutôt que de la rendre tangible et urgente. Ce geste, loin de provoquer une réflexion profonde, apparaît comme un  tableau dépourvu de radicalité. Pas sûr que se baigner dans les eaux sales des autres en se caressant en communion soit ni pertinent, ni souhaitable.

Pas sûr non plus que de vendre que jeunes danseurs qui, au plateau, se  soutiennent, se sourient et se massent les uns les autres, comme un expérience de société et un exercice utopique, semblant porter l’étendard d’un avenir du “care”, ne soit pas un peu hypocrite. On a affaire à des interprètes de haut niveau, rémunérés, dont le sourire fait partie du métier, et les ballets ne sont pas nécessairement connus pour être des havres de paix et de tolérance.

“Futur proche” séduit par sa maîtrise formelle et sa beauté plastique, dans la continuité d’un style keersmaekerien, mais échoue à incarner le discours politique qu’elle prétend porter. Jan Martens, en s’appuyant sur une esthétique minimaliste et une structure chorégraphique rigoureuse, nous offre un spectacle élégant, mais qui ne bouleverse ou même questionne en aucun cas notre rapport au monde en crise.