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« Dreamers #2 » commence dans la mémoire photographique du premier opus, initié en 2021 par Pascal Rambert avec la promotion 10 du TNB.

Comme sur toute photo, ce qui déborde le cadre fait davantage frémir l’image que ce qui s’y tient. Les présent.e.s se regardent moins entre eux.elles qu’ils.elles ne densifient les places vides où se tiennent spectralement leurs prédécesseur.se.s. Et comme toute photo, qui appelle à être abimée et infiltrée au risque de devenir un témoin surplombant, un pur fossile de l’expérience inspirante mais inatteignable des autres, la onzième promotion défend bien vite qu’elle ne souhaite pas restée fixée devant cette « surface pour les corps d’en face ». Et puisque toute contemplation constitue une activité intranquille du regard qui engage les corps, ceux-ci s’aventurent progressivement dans une rave.rêve party théâtrale, forme bien sollicitée ces dernières années (déjà par Julien Gosselin dans « 1993 », avec le groupe 43 du TNS) mais qui trouve grâce à Pascal Rambert, et à ses grand.e.s collaborateur.rice.s Aliénor Durand, Clémence Delille, Alexandre Meyer ou encore Yves Godin, un souffle romantique complètement singulier.

Romantique parce que la fête est aussi inquiète que joyeuse, aussi mélancolique que néguentropique, aussi magnifique que grotesque – Rambert trouvant un humour dans l’image modeuse (avec ces « choses sexuelles dans les poufs ») jusque là absent ou non conscientisé chez lui. Cette catabase baptismale, descente collective en soi, provoque la mort des corps appris, parlants, et la découverte de jeunes corps vivants, dirigés vers l’inconnu, de « corps premiers » (comme les nommait récemment Alain Damasio dans un chapitre de « Valley de Silicium »). Mais la performance reflète intelligemment par cette ironie, par cette inflexion vulgaire de l’image, le statut paradoxal des expériences de “transe“ : pour celles et ceux qui les vivent elles sont possiblement cathartiques et mutantes, pour celles et ceux qui les voient (nous autant que les futur.e.s élèves du TNB), elles sont fascinantes mais fatalement un peu glacées – elles n’éveillent au fond le regard qu’à son propre voyage à venir.

Toutefois, ce sont bien à des corps affranchis, qui savent apparaître sur un plateau dans toute leur beauté, leur fragilité et leur pleine singularité auxquels nous accédons dès leur entrée. Aussi les signes parfois lisibles de transformation (la dépense graduelle, la livraison croissante de l’intime…) comptent finalement moins que la force d’exposition immanente du spectacle : la cuve photographique de jouvence, lieu du sacrifice d’un certain soi pour le Soi, ne révèle finalement rien de plus fort que des corps qui savent immédiatement se tenir , collectivisés et singularisés, aussi esthétisés que défardés. Des corps complètement premiers de comédien.ne.s mis à leur plus bel endroit par la grande générosité esthétique de Rambert, par l’accompagnement chorégraphique d’Olga Dukhovna qui les rend à la fois conscient.e.s et libres de leurs gestes (mention, non exclusive, pour Julie Borgel qui sait être aussi profonde que pop). Et par la formation extraordinaire du TNB dans laquelle le rêve de l’acteur.rice en majesté se conjugue visiblement avec l’exigence politique d’un.e interprète tel qu’en lui.elle-même, d’un jeu qui ne sert (comme disait Pirandello) à rien d’autre qu’à se trouver. Aussi « Dreamers #2 » évoque-t-il sans cesse, sans jamais nommer son sens profond, ce qui se joue viscéralement dans l’école de théâtre. Voici des corps photographiés sur un seuil émancipant, tremblé par les autres délivrances qui les attendent et par les autres corps qui les remplaceront. Voilà un spectacle de Sortie au sens profond et bouleversant du terme.