(c) Pierre Planchenault

Isabelle Adjani est née le même jour que Maëlle Gozlan. Celle-ci l’a invitée à son anniversaire, et on l’attend, cette autre-que-soi, ce double à paillettes. Ce prétexte dramaturgique de l’icône – et son absence – n’est pas vain. Au contraire, il s’agirait bien, avec ce récit performatif, de le travailler jusqu’à la moelle, voire jusqu’au vertige.

De celle qui se fait désirer à la fête, il faut bien (la) parler. Multiples, les signes de l’actrice –  photos, rôles, films, la ritournelle du pull marine… – ne sont pas juste des références brandies, mais se coulent dans la manière qu’a Maëlle Gozlan de s’y engouffrer. De creuser l’image pour mieux y trouver son « je », de l’agréger à des figures féminines de contes ancestraux, d’en faire une atmosphère diffuse – cette inquiétante instabilité du personnage d’Adjani dans « L’Été meurtrier », ou encore les tournages où règne le male gaze. Elle s’empare de l’icône, la met à distance, écart possible pour la dérision, autant qu’elle la convoque quand la violence emmagasinée déborde, et qu’il faut éructer, à renfort de mots, ce qui ne passe pas, ou plus.

Et la birthday girl a le sens de l’orchestration, non seulement de ce recueil iconographique en collage, mais aussi de « l’énergie » sensible des images elles-mêmes. Elle les fait durer, ou nous les donne et les reprend d’un revers de geste, de ton, de grain de voix, parfois nous demande de les inventer, avant de nous en proposer une forme plus tard, et ce, toujours en en laissant une persistance dans les corps. Là serait une des habiletés poétiques dans ce travail sur le rapport à l’image, entre rejet de celles, néfastes, qui sclérosent et besoin de celles qui sauvent. Une troisième voie s’ouvre, en creux, de l’ordre du pulsionnel, par ce jeu qui nous renvoie à notre propre vide, donc notre regard, notre désir de spectateur.ice. Un sillon exacerbé, dans cette version performative (il existe aussi une version plateau), par le bifrontal autour du catwalk que la comédienne arpente, rendant ainsi absolue la proximité entre elle et nous. Jusqu’à générer, en ce soir de première, une inquiétante étrangeté redoublée, celle d’être toujours au bord d’un franchissement total. D’ailleurs, un spectateur s’y laisse prendre, tâte la pomme empoisonnée, soit le prétendu cœur de l’amant qui nous est tendu. Avec elle, on est englué.es dans cette chambre (mentale) aux murs clos mais aux recoins – parfois cauchemardesques – extensibles au gré de son corps en mouvement, fée filiforme qui flotte en déambulant, souvent au bord de l’abîme, le fond de la piscine, devenu la source de sa boîte à images. Et sa transe, c’est la nôtre.

Maëlle Gozlan est de celles et ceux qui n’imposent pas de discours, mais dé-posent des images qui (nous) agissent. « Vous imaginez si on se prend pour tout ce qu’on a vu », nous lance-t-elle, avant de se dérober. Espérons que « Pleins feux » trouve d’autres futurs écrins dans lesquels se déployer, pour que s’apprivoise encore quelque peu la puissance vibratoire de cette version performative, qui a trouvé là, pourtant, sa forme peut-être idéale.