© Marc Domage

Dans ces multiples palimpsestes qui forment cette « autre histoire du théâtre », on aime reconnaître, on l’avoue, un grain de voix légendaire ou une scène mythique par-ci, une direction d’acteurs qui vaut pour méthode par-là. Mais, bien sûr, si cette distinction fait partie du jeu, elle n’en fait pas le sel. Car « l’un » ne se réalise que dans « le tout », il n’existe que par la relation, par ce qui le bouscule et ce que lui-même déplace.

Ce principe, déjà à l’œuvre dans « Le Chœur », précédente pièce de Fanny de Chaillé, est d’autant plus pertinent ici, en ce qu’il s’applique au traitement de matériaux qui résistent, non pas tant à l’unicité, du moins à l’univocité. Outre des extraits choisis de textes dramatiques, par nature « troués » car tendus vers leurs interprétations scéniques, les quatre jeunes comédien.ne.s –  issus du « Chœur » – ont aussi travaillé à partir d’archives, également de leur choix : des captations audio et vidéo de spectacles, d’entretiens, de répétitions… Et on le sait, l’archive, aussi fidèle se voudrait-elle à l’objet qu’elle encapsule, est pourtant toujours « prometteuse », dirait Derrida, ouverte, par son caractère intrinsèquement manquant, synonyme de réservoir de possibles.

Cette ouverture est ici judicieusement préservée et même impérative : s’approprier « son » document, l’interpréter, incarner son contenu en scène, c’est en même temps le donner, le lancer au groupe, le rendre disponible. Une dynamique fondée sur le parti d’envisager ces supports théâtraux ou para-théâtraux, désacralisés autant que (ré)activés, comme des machines à jouer par et pour les comédien.ne.s. Leur charge référentielle, voire didactique, se trouve rapidement altérée de toutes parts, détournée par l’humour, hybridée des propres biographèmes et réflexions de chacun.e sur leur art, et diluée dans une forme ultra-malléable. Celle-ci aurait l’élasticité pour nature, générée en premier lieu par le mouvement des corps, étirant l’espace scénique à souhait, et des voix – reste en tête cet instant à l’allure indéfinissable, entre le cut et le fondu enchaîné accéléré, où Margot Viala « dégonfle » la texture de sa « voix d’archive » et retrouve la sienne propre. Et la mise en abyme prend : si le contenu relu propose une autre histoire de l’art dramatique – par un regard critique qui soulève très souvent les impensés de l’officielle –, l’acte de relecture dessinerait bien, quant à lui, un certain art dramatique en soi. Il y a quelque chose de jouissif dans ce sauté-glissé perpétuel, d’une modalité de discours à une autre, d’une glose théorique à une situation, de l’incarnation – qui, souvent, grossit les intonations et les mimiques – à la distance nette.

Là est la qualité du travail de Fanny de Chaillé, dans cette fluidité créée au sein d’un cadre (presque trop) bien taillé. Et si cela fonctionne si bien, c’est aussi par la confiance accordée à la choralité du groupe, même réduit ici en quatuor, toujours capable d’écrire les riens, de faire entendre ce qui parle y compris entre les échanges.