D’abord il y a l’obscurité. Sur une scène nue, des âmes errantes se retrouvent. Quatre femmes, le regard halluciné, hagard, sont entravées de toutes parts, lestées par des couches de vêtements qui les couvrent de la tête aux pieds. Elles se cabrent, convulsent, s’immobilisent, et ça dure.
Puis, c’est une détonation. Des cris, des cavalcades, des chants, des mots. Tout y passe. Les vêtements volent, les corps se déploient, tout en opulence et en volupté. Gagnées par la fièvre, elles rient, jouent, s’exhibent avec rage et drôlerie (on assiste à une scène de masturbation avec un manteau comme une franche partie de rigolade). C’est un rejet net des carcans, voici l’explosion du désir.
Il faut se rappeler que ces danseuses sont des aïtas (al aïta, « le cri », est un genre musical traditionnel). Chanteuses de cabarets orientaux, reines des banquets et des mariages, elles ont toujours malmené les conventions et en retour ont été méprisées et rejetées. Bouchra Ouizguen les a cherchées durant deux années à travers tout le Maroc. Elle les a trouvées dans un vieux cabaret de Marrakech et depuis ne les a plus lâchées. La chorégraphe née à Ouarzazate poursuit ici après « Madame Plaza » et « HA ! » son projet de développement d’une scène chorégraphique locale avec sa compagnie O, composée uniquement d’aïtas. Ottof signifie « fourmi » en berbère et fait écho à l’expérience de la troupe, qui travaille à Marrakech. Certaines artistes, qui vivent dans des campagnes éloignées, avalent des centaines de kilomètres pour aller et venir quotidiennement aux répétitions. Telles des fourmis qui inlassablement creusent leur sillon.
Bouchra Ouizguen met crûment en lumière la vigueur et la grâce de ces corps façonnés par le temps, les grossesses, le travail. Ces danseuses populaires nous font prendre la mesure tout à la fois de l’âpreté de leur existence et du puissant souffle de liberté qui les traverse. Une pièce radicale.