Chienne de vie ou le théâtre comme exorcisme

Chienne de vie* / *Life is a bitch

(c) Carla Neff

(c) Carla Neff

Le principe est simple, il est même primitif : jouer, distribuer des rôles, désigner le bouc émissaire. Non pas le choisir mais le tirer au sort : absurdité de l’arbitraire.

C’est le public qui fait ce geste et détermine lequel des quatre comédiens endossera ce rôle et encaissera les « coups ». Puis tout s’enchaîne. Les comédiens prennent leur fonction et passent en revue, donnent à voir, les situations de vie où le couple bourreau/victime s’incarne. Violence physique et morale faite à un individu à qui l’on demande même de s’excuser d’être cette victime.

Et dans ce petit jeu tout le monde est impliqué, pas de « témoins », pas de spectateurs, puisque ce sont eux qui ont désigné la victime. Les comédiens n’en sont d’ailleurs pas vraiment, qui jouent et s’interpellent par leurs vrais prénoms. Aujourd’hui, c’est leur collègue « Nolwenn » qui est la victime, et ils lui donnent des claques en leur propre nom.

Le collectif Le Bleu d’Armand propose ici un théâtre du ressenti et démontre par le corps plus que par le discours. En contant, en comptant les lieux où s’actualise ce couple d’enfer structurant les rapports humains, les comédiens tentent de circonscrire la situation. Et donc de la contenir. C’est un théâtre qui agit : dire et faire ensemble, comme un principe rituel. La scénographie, superbe, est organique et matérielle : 1 800 litres de tourbe blonde recouvrent le plateau. La matière est concrète et souligne la performance au sens d’action.

Régulièrement, les comédiens interpellent le public, lui jettent un coup d’œil ou le fixent un instant, comme pour s’assurer de sa présence totale. C’est un regard qui cherche la complicité. C’est un regard qui vérifie aussi que tout le monde garde les yeux ouverts jusqu’au bout, jusqu’à l’insupportable. Le processus est en cours.