C’est au cœur des relations familiales, des rancœurs et sinueux malentendus entre frères et sœurs, sous le poids que font peser les figures paternelle et maternelle sur la vie des « enfants adultes », que se situe la pièce.
Ce drame familial hyperréaliste analyse un type social particulier : la famille française de classe moyenne issue de parents post-soixante-huitards. Il vient conclure la fresque intitulée « Des années 70 à nos jours » entamée ces dernières années avec « Derniers remords avant l’oubli », de Lagarce, « La Noce », de Brecht (transposé dans les années 1970 avec la célébration du mariage de Catherine et Christian), et la création collective « Nous sommes seuls maintenant ». Le même dispositif dramaturgique est convoqué : un plateau vide, quelques tables, des chaises non attribuées, des bougies éteintes, qu’on allume en fin de partie, dernier rituel d’une famille désunie, tout un service de table rangé sur le côté matérialisation de cet héritage familial, l’argenterie, lustre inutile qu’on sort aux grandes occasions. Ici encore, une génération se « met à table » – ou hésite à le faire, refusant une convivialité factice.
Écrite à partir d’improvisations de plateau, cette pièce-laboratoire laisse encore une place importante à l’improvisation en temps réel, ce qui crée des effets paradoxalement très efficaces : les hésitations, les gaucheries, les moments de fragilité, les longueurs, les « blancs » et les envolées maladroites mais chargées d’émotion des comédiens réussissent bien à représenter le caractère tâtonnant, arbitraire et imprévisible des réunions familiales, où chacun cherche sa place sans parvenir à échapper à son rôle, où tout peut déraper ou au contraire se dénouer à la faveur d’une réplique… Tout un héritage familial (et théâtral) est disséqué, avec quelques longueurs dues à un manque de rythme lors de la création au TGP. Les comédiens, excellents, se mettent en danger, cherchent le ton juste, ce qui donne quelques envolées virtuoses.