Expérience intéressante que d’enchaîner coup sur coup, à trois heures d’intervalle, deux spectacles de danse, « Barbarians » de Hofesh Shechter, et « Jamais assez », de Fabrice Lambert. On aimerait pouvoir nuancer, mais les 1 750 signes généreusement accordés par la rédaction en chef n’y suffiraient pas. Alors disons que le premier est une grosse machine parfaitement réglée, léchée, spectaculaire mais qui s’apparente plus à un show créé pour Broadway. Efficace et énergétique, nul doute qu’il pourra remplir de grandes salles, on cherche toutefois un supplément d’âme.
La création de Fabrice Lambert lui a été inspirée par le do « Into Eternity » de Michael Madsen, qui évoque la création en Finlande d’un gigantesque lieu d’entreposage de déchets nucléaires de haute activité et à vie longue, censé résister cent mille ans. Le rideau s’ouvre dans un silence complet et une obscurité totale d’où ne ressort qu’un vaste rectangle au centre de la scène, baigné d’une pénombre crépusculaire. Après quelques secondes, nos yeux parviennent à distinguer une vaste forme mouvante, inquiétante et noire qui ondule sur le bord opposé du rectangle pour migrer progressivement vers son centre. La créature postapocalyptique se révèle bientôt formée du corps des danseurs, entremêlés comme dans un charnier mais vivants – peut-être. S’ensuivra alors une heure d’une composition polyphonique époustouflante agrégeant non seulement les dix danseurs mais aussi leurs ombres grâce aux éclairages magiques de Philippe Gladieux. Les circonvolutions des corps qui se croisent, s’évitent et s’entrechoquent forment des motifs éphémères et énigmatiques. Les chairs s’affaissent et se soulèvent comme ballottées par un fluide invisible et l’on est totalement captivé jusqu’à la diffraction puis l’éclatement du symbole de l’infini. Le public a adoré. Nous aussi.