Les élans

D.R.

Les élans ne sont pas toujours des animaux faciles. Mais ceux-là s’accordent à merveille autour de leurs instruments. A travers le champ indomptable des petits soucis quotidiens qu’ils s’échangent à coups de whisky, ces trois élans aux allures contrastées sautent avec une aisance flegmatique et incroyablement normale de l’absurdité au réel, nous faisant plonger avec délice dans un univers loufoque qui brusquement nous paraît logique. Derrière l’apparence légère de leurs conversations décousues et rythmées, et la sympathie que dégagent les trois personnages, on peut déceler une évidente difficulté à accepter la difficulté d’être juste humain. La musique s’impose comme un fil conducteur et consolateur de leur vie et leur amitié. Dès qu’ils touchent à leurs cordes, l’élan musical les raccordent inexorablement, et les trois comédiens qui les incarnent ne font que sublimer leur talent.

Dans la veine des pièces dites “musicales”, celle-ci fait partie des perles rares qui allient intelligence de l’écriture théâtrale, qualité de la composition (musicale et scénique),  et harmonie entre les deux mondes. Les textes de Frédéric Rose et Vincent Jaspard, des sketches surprenant d’originalité et de précision qui ne laissent rien au hasard, se mettent au diapason avec les interventions musicales brillamment menées par les trois comédiens-musiciens. Rien ne dénote, ou presque. Dans ce cadre intimiste d’une soirée banale entre amis, la musique, leur exutoire, prend sa place de façon naturelle et spontanée. Elle crée le lien entre les textes, ingrédient essentiel à toute bonne création de ce genre, même si l’on peut tout de même ressentir, au fond, un désir premier du metteur en scène à vouloir rassembler ces trois artistes pour mettre leurs talents indubitables au premier plan, et justifier l’intégration des musiques à l’intérieur de ce délire intersidéral.

La corde est parfois tendue à l’entrée d’une chanson, mais la performance des comédiens, et leurs personnalités bien trempées donnent tout de même une fluidité indiscutable à l’ensemble de la pièce, dont on ressort piqué d’un petit grain de folie.