C’est une tranche de vie. Mais cette tranche de vie est aussi une tranche de gâteau. Le regard des spectateurs, souvent amateurs de décors « naturalistes », est séduit par la présence de ce gigantesque mobil-home, reconstitué dans ses moindres détails : une cuisine, un coin douche et WC surmonté d’une chambre en mezzanine, une petite table et, collés aux « murs », quelques Polaroid, une affiche du groupe Fleetwood Mac… On songe peut-être à la caravane de « La Mélancolie des dragons », de Philippe Quesne, égarée, elle aussi, dans un no man’s land indéfini.
Ada, la propriétaire acariâtre du mobil-home, vieille star du rock clochardisée, sorte de croisement improbable entre Patti Smith et Baby Jane Hudson, passe son temps à regarder en boucle ses succès d’antan sur son petit ordinateur portable Vaio. Sa silhouette sèche, coiffée de nattes grises, contraste avec le corps grassouillet et pataud de sa nièce, ancienne championne de tennis sortie de l’hôpital psychiatrique, persuadée d’avoir provoqué le suicide d’un de ses parents. Un troisième personnage, une immigrée dont la langue est indéterminable, vit cachée dans cette caravane et communique sur Skype avec sa famille et son enfant restés au pays.
Cette pièce « tournerait à vide ». Parce qu’il n’y a pas de véritable récit et qu’on attendrait, de la rencontre de ces personnages pittoresques et excentriques, un traitement façon « Le Père Noël est une ordure » ? Or, le temps s’est arrêté pour ces trois femmes, comme cette caravane bloquée dans un terrain vague. L’incommunicabilité entre les êtres, le vide de ces existences enlisées, suspendues à un événement qui n’arrive pas et emplies d’un passé réconfortant ou prestigieux, s’emparent de nous. Les accords de Joaquin Segade à la guitare électrique accompagnent la chanson d’Ada. Le tube de Zarah Leander, autre star déchue, nous emplit, comme ce beau spectacle, d’une infinie mélancolie : « Je sais qu’un miracle va arriver. »