L’écriture et la mort

Le contraire de l’amour, journal de Mouloud Feraoun 1955/1962

Le contraire de l'amour

D.R.

L’OAS, qui n’était pas à une saloperie près, a assassiné Mouloud Feraoun le 15 mars 1962, trois jours avant les accords d’Évian. Ce faisant, elle n’a pas seulement pris une vie, elle nous a privées, nous générations futures, d’une des voix les plus belles, les plus singulières de la littérature. Mais qu’en avait-elle à foutre, l’OAS, de la littérature ?

Mouloud Feraoun était un Kabyle, profondément attaché à sa terre natale. C’était aussi un amoureux de la langue française, la langue des colonisateurs. Cette identité douloureuse, cette déchirante contradiction font du journal qu’il avait commencé un an après l’insurrection algérienne, et qu’il a poursuivi jusqu’à son exécution, un témoignage irremplaçable. D’une bouleversante acuité. D’une rigueur intellectuelle jamais prise en défaut.

Sur la scène, à jardin, le musicien et comédien Marc Lauras, sobre et toujours juste, nous donne à entendre les faits dans leur banale brutalité. Témoin objectif de l’histoire, il en est aussi, grâce à son violoncelle, le commentateur révolté. Au milieu, juste une table. Et enfin à cour, recouvert d’un tissu rouge, un fauteuil et… Samuel Churin. Époustouflante incarnation de l’auteur. Il faut le voir s’emparer peu à peu de l’espace : d’abord calme, distancié, et progressivement de plus en plus fiévreux, pessimiste puis optimiste et à nouveau pessimiste, dans un mouvement de balancier qui met à mal ses nerfs. Triste, écartelé. Terriblement vivant.

Nous suivons son cheminement douloureux, celui d’un humaniste face aux « bruits effrayants et si proches de la guerre » (comme l’écrira plus tard Jean-Luc Lagarce), aux petites lâchetés, aux exactions, à la torture, à la peur qui gagne tout et tous. Et à la mort enfin, irréfragable.

Samuel Churin, et son complice, nous restitue tout cela. Qu’ils en soient, ainsi que leur metteur en scène, remerciés !