Dans « Femme non rééducable », le dramaturge italien Stefano Massini rend hommage à la détermination d’Anna Politkovskaïa. Cette femme assassinée en 2006 dans son immeuble était le symbole d’un journalisme résistant, à l’heure où l’oligarchie russe possédait la majorité des médias. Particulièrement remontée contre les régimes Boris Eltsine et Vladimir Poutine, elle n’a eu de cesse de tirer la sonnette d’alarme sur le durcissement d’un gouvernement et les manœuvres des politiques pour imposer (rétablir) un régime totalitaire, sous couvert de patriotisme. La mise en scène que nous propose Vincent Franchi dévoile l’étendue de l’engagement de cette femme et nous fait violemment réaliser qu’il est banal, au bout du compte, de mourir de dire. Certes, il est difficile de résumer une œuvre aussi enthousiasmante en une heure et demie, mais on en sort avec la certitude d’en avoir découvert les lignes maîtresses. Maud Narboni est une actrice profonde, fine, dense. Son interprétation, souvent à la frontière du pathos, n’y tombe jamais. Amine Adjina l’accompagne de sa présence en filigrane. Il est le fils, le bourreau, l’interviewé. Ici, on est dans l’horreur. L’horreur du conflit tchétchène, la misère, le meurtre, le viol et cette mise en scène pleine d’humilité de bon aloi fait ressortir violemment, justement par sa pudeur et son envie de ne pas montrer, un désastre déchirant. On reste pendu aux lèvres de la comédienne, qui mastique les mots avec passion dans une nécessité de la parole, la parole du théâtre et la parole de celle à qui on a à tout jamais fermé la bouche. Un spectacle qui prend aux tripes en nous montrant cette rare espèce d’humains altruistes qui préfèrent la mort au silence.
Mourir de dire
Femme non rééducable. Mémorandum théâtral sur Anna Politkovskaïa