On the road again

The Age & Beauty Series

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Un chant à cinq voix, lancinant tel un chant grégorien, répétant inlassablement : « Do you worry about the future? » Le chant se rompt et une danse faite de corps aux regards vides s’amorce. C’est une dépression (celle d’un artiste quadragénaire) qui nous est donnée à voir, la descente qui suit une défonce festive ou une expérience mystique. On aura alors droit à tous les poncifs d’une performance chorégraphique quelque peu téléguidée : scène quadrifrontale, subversion du geste classique (par le burlesque des danseurs notamment), interaction sexuelle avec le public (ce cul frotté sur les pauvres genoux d’un spectateur). Se noue pourtant un problème artistique passionnant, simplement effleuré par l’artiste. Car le dépressif, qui est-il ? Celui qui fait l’épreuve de sa propre insignifiance. Or, chez Gutierrez, ce sentiment semble précisément résulter d’une incapacité à rompre avec la routinisation des formes chorégraphiques et plastiques contemporaines. C’est que l’impossibilité d’exprimer la singularité subjective autrement que par les moyens formels les plus communs renvoie, tel un miroir, le sujet à sa propre abstraction, à son propre néant. Voilà peut-être le paradoxe du spectacle (et de bien d’autres en réalité) : ambitionner une chorégraphie de l’intime dans les formes les plus routinisées de la performance contemporaine. Disjonction du fond (la singularité) et de la forme (le lieu commun) qui est la marque d’un échec. Et pourtant, un tel paradoxe n’aurait-il pas été fécond si l’échec avait été thématisé comme tel, si l’artiste n’avait pas simplement échoué à figurer son intimité, mais s’il avait aussi mis en scène, dans un geste réflexif, cette impossibilité même à l’heure où l’art est devenu le prestigieux fétiche du capitalisme contemporain ? Tel aurait été l’objet d’une œuvre qui n’aurait pas été bien différente de celle-ci : le lieu non plus d’une expression illusoire du sujet, mais d’une révélation mélancolique de son absence.