La Compagnie des Animaux en paradis, composée essentiellement d’anciens élèves du CNSAD, bénéficie de la jolie vitrine de la région Champagne-Ardenne en Avignon. Léo Cohen-Paperman, directeur de la structure, et son comparse Lazare Herson-Macarel ont eu l’audace et le talent d’adapter pour la scène la nouvelle fantastique de Dostoïevski : « Le Crocodile ». Heureuse entreprise.
Parue dans la Russie de 1965, deux ans avant « Le Capital », de Marx et Engels, « Le Crocodile » n’est pas une histoire pour enfants mais une intelligente parabole des ravages de l’économie libérale et du bouleversement des priorités qu’elle engendre. « Le Crocodile » de Dostoïevski est une bête goulue et bien grasse qui ne fait qu’une bouchée du pauvre Ivan Matvéïtch. Cependant, pas question d’éventrer l’animal, attraction star du zoo de Saint-Pétersbourg, il est bien trop précieux, bien trop rentable. La vie d’un homme vaut moins qu’une pompe à fric. Le texte se fait d’une percutante actualité.
La mise en scène de Léo Cohen-Paperman, aidée par l’ingénieuse scénographie de Jean-Baptiste Bellon, sert une distribution tout aussi bien trouvée. Les comédiens de la compagnie offrent un jeu d’une rafraîchissante générosité dans un registre burlesque et résolument anachronique. Lazare Herson-Macarel, dans la peau du naïf narrateur de cette fable noire, déploie une partition impressionnante. Tour à tour témoin rationnel, puis victime et finalement suppôt de Satan, il tient son personnage d’une main de maître jusque dans les tourments de la folie.
On pourra reprocher à ce « Crocodile » de se reposer sur le talent indiscutable de ses interprètes et de n’avoir pas poussé l’exigence jusqu’à transcender le propos. La volonté de moderniser l’action a pris le pas sur le fond.