Il est bon, dans cette aventure participative qu’est I/O Gazette, d’arriver sans mémoires, sans « j’en ai entendu parler… » ! Arrivé frais, tout frais, à 11 heures au très beau théâtre du Roi-René, découvrir et sortir 1 h 30 plus tard, ému, bouleversé, même. Que c’est bon, le théâtre, quand c’est comme ça !
Dans une écriture belle et extrêmement fluide, Mouloud Feraoun nous raconte de l’intérieur les événements d’Algérie. L’auteur kabyle, nourri de culture française, instituteur dans un petit village, en diffusait les valeurs qui lui avaient été inculquées. Cela ne l’empêchera pas, dans son journal, de dresser un constat lucide des erreurs de l’entreprise coloniale et de l’échec de la présence française en Algérie.
La mise en scène de Dominique Lurcel, au dispositif minimaliste, est très juste, tant elle ne prend pas le pas sur le témoignage, la parole. Elle déploie chronologiquement les réflexions tiraillées d’un homme d’une salvatrice rigueur intellectuelle. C’est l’extrême intelligence des grands metteurs en scène au parcours brillant que de s’effacer et servir un texte, modestement.
Marc Lauras au violoncelle, égrainant les jours, les mois, les années est magnifique. Sa musique est tour à tour menace, espoir, colère, abandon.
Et le fleuron du quarteron : Samuel Churin ! Il commence en douceur, à distance, comme un guetteur, embusqué… Et très vite, sans que vous l’ayez vu venir, il vous a emporté avec lui, en même temps que lui, vous êtes Feraoun (modestement s’entend !), témoin horrifié des tortures, des viols systématiques dès 1956, écartelé par son amour de la France et conscient du mépris dont elle n’a cessé de traiter « six millions de musulmans ». Ce comédien au parcours riche de rencontres théâtrales et médiatisé par ses prises de position pour la défense (l’explication…) du statut des intermittents du spectacle réussit formidablement son rôle de passeur d’histoire. Merci, messieurs !