Elle se tient si droite que ce n’en est plus possible. À aucun moment ses mains ne trembleront, n’esquisseront un geste qui ne soit pas de l’ordre du nécessaire. À aucun moment sa voix ne ploiera sous les larmes qui prennent d’assaut le bord de ses cils, ni sous la morve qui s’écoule jusqu’à sa bouche. Son visage est un masque d’hermétisme dont les lèvres s’ouvrent parfois, comme un gouffre béant, lors d’un cri silencieux. Son sourire est celui d’un ange déchu, d’une démone vengeresse.
Elle est là, face à nous. Elle est une pute, une putain, elle est une femme. Elle dissimule ses cheveux de sorcière sous une lumière d’outre-tombe, elle baisse la tête et chacun de ses silences est comme un coup asséné en plein cœur.
Elle a été escort, elle a été étudiante, elle a été une petite fille en jupe d’écolière. Elle a écrit, aussi. Elle s’est pendue à un clou dans sa chambre le 24 septembre 2009, elle a accroché son corps de femme déjà périmé, infiniment périssable comme on pend une robe usée après un dernier été.
Devant nous se tient Véronique Sacri, qui habite plus qu’elle n’incarne la romancière et prostituée Nelly Arcan, morte par suicide. Avec « Fille du paradis », Ahmed Madani laisse éclater, par la diction mate et dénuée de toute complaisance de Véronique Sacri, la voix d’une femme qui a fait de son corps son arme et sa malédiction. Un morceau de chair béante qui se dérobe au spectateur, cintré dans un manteau qui jamais ne s’ouvrira.
« Fille du paradis » n’est pas un spectacle qui émeut, c’est un spectacle qui pétrifie, de terreur, de vérité, de sensualité morbide et secrète. Une parole psalmodique et punk qui ne cesse de dire la souffrance instinctive et perpétuelle de l’objet de désir « femme » tout autant qu’il pointe sans dénoncer la « misère » du désir de l’homme.