C’est toujours un pari immense que d’adapter un chef-d’œuvre incontournable de la littérature. Tiago Rodrigues s’y est essayé cette année avec un succès relatif. Avec son « Madame Bovary », créé au Théâtre de poche en début de saison, la petite troupe menée par Sandrine Molaro et Gilles-Vincent Kapps a choisi un chemin moins ambitieux que celui du Portugais : pas de mise en abyme ici, mais un condensé plus ou moins linéaire du roman, autour d’une mise en scène à tendance cabaret burlesque.
Projet casse-gueule, qui aurait pu déraper, tant il est sur le fil auquel Flaubert tenait d’ailleurs tout particulièrement : « Toute la valeur de mon livre, s’il en a une, sera d’avoir su marcher droit sur un cheveu, suspendu entre le double abyme du lyrisme et du vulgaire », n’écrivait-il pas à Louise Colet en 1852 ?
Si l’on en juge d’après les souvenirs (vagues) qui hantent les têtes de nos écoliers, on n’aurait difficilement pu croire que les aventures intérieures d’Emma la neurasthénique fussent aussi comiques : étalon du roman psychologique, « Madame Bovary » fait ici l’objet d’une subtile recomposition fragmentée et modernisée du récit, autour du percutant texte de Paul Emond. L’ensemble est soutenu par des comédiens impeccables – mention spéciale pour la scène des comices agricoles.
Ponctué par des interludes musicaux improbables et drolatiques, le spectacle évite le premier degré, tout en restant au plus près de l’esprit de l’auteur, même si l’on y trouve tout de même quelques concessions à une légèreté galéjadesque parfois trop appuyée. Une jolie invitation, quoi qu’il en soit, à redécouvrir la prose de Flaubert, décapante et irrésistible, et à méditer sa verve : « On me croit épris du réel, tandis que je l’exècre. C’est en haine du réalisme que j’ai entrepris ce roman. Mais je n’en déteste pas moins la fausse idéalité, dont nous sommes bernés par le temps qui court. »