Crier les cris

Un Batman dans ta tête

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Matthieu ne monologue pas, non, Matthieu soliloque. Car ce n’est pas à nous qu’il adresse ses maux mais à lui-même, son reflet pour témoin et confident. Les mots, « le père » les lui explique, mais ils ne sont jamais pour le personnage des outils de relation au monde. De communication il n’y a pas, et ce n’est que par rebond que l’on peut approcher l’homme blessé. Le OFF d’Avignon nous habitue trop souvent à une esthétique au rabais ou au mieux à un plateau nu, mais ici tout est léché et pensé au service du texte. La scénographie d’Hélène Soulié et Emmanuelle Debeusscher est brute, sans détour, efficace et subtilement présente par la beauté du dispositif. Elle permet cette distanciation induite déjà par l’absence (presque) totale du « je » : l’acteur – le très engagé Clément Bertani – immergé dans une baignoire se raconte, à la troisième personne ; un miroir comme psychanalyste qui reflète, froid et cru, la folie du jeune homme dans l’eau du bain et dans la salle. Seul Batman, double imaginaire de l’adolescent « monstre », semble pouvoir créer une relation tout à la fois vitale et suicidaire. La langue de David Léon, auteur dramatique contemporain que l’on retrouve de plus en plus sur les plateaux, est lancinante. Les mots piétinent, se répètent, tournent en boucle, cherchent la sortie et nous plongent dans les méandres d’un cerveau abîmé, fou de se sentir mal-aimé par « la femme qui ne voulait pas être la maman qui criait les cris tout le temps ». Formule tautologique répétée 34 fois dans le texte, ce leitmotiv dramaturgique condense à lui seul la pathologie du personnage et le style percutant de l’auteur.