De la flexion qui précède le saut

Barons perchés

(c) Christophe Raynaud de Lage

Au milieu de la cour du lycée Saint-Just de Lyon, aux allures seigneuriales, se dresse une structure étrange. Un petit appartement d’une pièce qui paraît suspendu et construit de murs transparents. Un homme entre, comme de retour de voyage, dans un appartement auquel il semble avoir manqué. Peut-être est-ce un soir d’été dans une chambre d’étudiant à Perpignan, ou alors l’heure de la sieste dans un logement de fonction à Tunis. Il pousse la table, allume la radio, range le balai, replace l’ampoule, déplace un meuble puis tombe sur le sol et… rebondit. Quel sentiment fabuleux pour le spectateur, qui, surpris par ce premier mouvement d’une beauté incongrue, comprend que le sol de cet appartement est en fait un trampoline.

D’une puissance poétique considérable, le trampoline donne aux mouvements des acteurs une amplitude lyrique incroyable, fait bondir l’ordinaire vers la magie, fait de l’anodin une allégorie, d’une anecdote un mythe. Mathurin Bolze avait présenté, il y a environ quinze ans de cela, une pièce intitulée « Fenêtres », dans laquelle il évoluait seul dans un espace assez similaire. « Barons perchés » est un spectacle incroyable en ce qu’il est porteur de ses conditions mêmes de création. Mathurin Bolze, atteignant un âge auquel il convient de transmettre, cherche et trouve un jeune trampoliniste pour le remplacer à l’interprétation de « Fenêtres ». Dans « Barons perchés », un jeu de double se met en place entre les deux artistes ; c’est la pièce, qui, à la fois, est une passation et traite cette question de la transmission générationnelle dans tout ce que cela peut avoir de beau, ou de triste, de difficile ou de réjouissant.

Mathurin Bolze et son disciple Karim Messaoudi sont de véritables danseurs ; il y a une justesse dans leurs mouvements qui nous convainc de quelque chose, qui nous raconte une relation et ses affres, ou plutôt ne raconte rien et est pure jouissance du mouvement. Le trampoline donne à la danse un ballon surréaliste et libère le mouvement de son besoin d’appuis. Mathurin saute une dernière fois pour mieux faire rebondir Karim. À pleurer de beauté.