© Pascal Victor / Artcomart

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Oui, Il trionfo n’a pas été conçu, à son origine, pour un dispositif scénique dynamique. Et alors ? Si Haendel dû se plier – comme les autres – aux canons ecclésiastiques de son temps, le contexte de création n’empêche en rien de repenser actuellement ce premier oratorio dans le cadre d’un travail dramaturgique et d’une vraie mise en scène. Krysztof Warlikowski ne s’en prive pas, et on l’en remercie.

Le metteur en scène nous propose une relecture affirmée du livret du cardinal Benedetto Pamphili, qui met en jeu un quatuor allégorique vocal : Bellezza (Beauté, Sabine Devieilhe), Piacere (Plaisir, Franco Fiagioli), Disinganno (Désillusion, Sara Mingardo) et Tempo (Temps, Michael Spyres). Ces quatre personnages codifiés sont ici replacées dans un univers contemporain cru ; celui de la jouissance immédiate, de la « vie intense » pour reprendre les mots de Tristan Garcia, qui éclate en morceaux. Qu’aime-t-on, que doit-on aimer ? À quoi s’attache l’Homme et où réside la Vérité ? Envie de chimères sensuelles, sensorielles et plaisantes ou de fantômes métaphysiques ? Retraçant l’éphémère de la vie, Warlikowski offre une peinture existentielle – plastiquement protéiforme – des plus poignantes.

La mise en scène est aussi exigeante que l’est la partition. Sans recours au dispositif choral, habituellement présent dans ce genre lyrique, la musique du jeune – mais déjà talentueux – Haendel, met à l’épreuve les quatre voix solistes. Généralement distribués à trois castrats et un ténor à l’époque baroque, ces rôles sont ici mis en valeur par une distribution grandiose. Sabine Devieilhe déploie une performance sublime, modelée par une maîtrise de l’ensemble des registres de sa large palette vocale, ainsi que du jeu ornemental baroque. Plus qu’une voix remarquable, elle est aussi une actrice convaincante, engagée corps et âme dans le dilemme moral et philosophique où se trouve jetée Bellezza.

Franco Fiagioli est tout aussi bluffant et offre au spectateur un jeu scénique superbe, que souligne son adresse vocale. Tout en jouant à la perfection avec son registre aigu de contre-ténor, il donne à entendre une jonction très travaillée avec sa voix de poitrine, qui éclate par moments avec force. La contralto et ténor ne sont pas en reste et resplendissent par la richesse de leur timbre et le sérieux de leurs rôles respectifs, particulièrement saisissants.