Gravats d’un monde en crise

Invisibles provisoires

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Avec un patchwork de textes hétéroclites, la metteur en scène espagnole Ana Abril convoque Rodrigo Garcia, Joël Pommerat ou Jacques Rebotier pour dresser un portrait amer de la société contemporaine.

Construit autour d’une alternance de tableaux, le spectacle évite l’écueil de la récitation didactique en s’appuyant fortement sur les corps et les matériaux, avec une scénographie symboliste reconstituant un chantier. À elle seule, la séquence d’ouverture, autour d’une manipulation fulgurante de planches en bois, traduit l’urgence et la violence du propos : le chaos d’une modernité qui semble condamnée à vivre dans le chaos et la peur.

Reposant sur une explicite référence au mythe de Sisyphe, camusienne mais pas seulement, la dramaturgie se développe comme un conte philosophique absurde, avec la figure archétypale du roi-glouton mimant les abus d’un pouvoir déconnecté du réel. Un monde de gravats intérieurs qui appelle à une reconstruction radicale… à moins qu’il ne s’agisse que d’une illusion programmée par nos tristesses collectives : « Nous sommes dans l’impasse… ou pas. »

Interdisciplinaire, la performance traduit une intelligence certaine de la scène, soutenue par une création musicale et sonore envoûtante (Léa Lachat) et un équilibre réussi entre gestes et paroles, même si l’énergie est, à certains passages, entamée par des problèmes de rythme.

Mais le principal bémol, inhérent à la structure même du texte, est cette impression diffuse d’un agrégat de paroles cultivées hors-sol qui, malgré le cousinage sociopolitique des extraits choisis, tournent parfois à vide.