Il est de ces spectacles qui étreignent le monde et les êtres comme jamais. Marc Favreau a donné naissance à un clown philosophe – Sol – dont la parole brasse l’univers. Sa logorrhée finement burlesque bouillonne à travers Marie Thomas, qui reprend les écrits de l’auteur québécois. Seule sur scène, l’époustouflante comédienne donne vie à un personnage pétri d’un héritage littéraire ancien : à la fois figure couplée du Destin et de l’Étoile (Scarron, « Le Roman comique ») et personnage rabelaisien. On s’enivre d’un texte aux accents novariniens, mais conçu dans une tonalité plus joyeuse, bien que faussement naïve.
Car sous l’apparence du jeu de mots pétillant émerge un discours bien senti, qui caresse à rebrousse-poil la morale bien-pensante. Marie Thomas y va pas à pas, construit intelligemment un cheminement d’idées poétiques et politiques – et aidée en cela par l’ingénieuse mise en scène de Michel Bruzat. Sur scène, il en faut peu pour passer le réel à la moulinette du rêve langagier : du sable, une petite fleur qui pousse timidement et l’attirail symbolique du clown sont les seuls artifices ici convoqués, laissant l’actrice librement vagabonder par la parole.
C’est fort, très fort ; cela vous prend par la main, et vous glissez imperceptiblement dans un monde en miroir. À la manière de Narcisse, invoqué comme une figure tutélaire, le public se mire avec rires dans un reflet déformé et pourtant si vrai. C’est dans cette profusion généreuse et réfléchie que réside le plaisir de cette pièce humaniste. Le public ne s’y trompe pas : la salle est comble.