(c) Paul Baila

(c) Paul Baila

Coproduction du théâtre national Radu Stanca de Sibiu et du Staatsschauspiel de Stuttgart, « Nathan le Sage » est la deuxième adaptation allemande, cette année, de la pièce de G. E. Lessing, avec celle de Nicolas Stemann. La mise en scène d’Armin Petras est tout aussi brouillonne et fantasque.

Le scénographe Dragos Buhagiar a choisi d’en mettre plein la vue : des murs monumentaux encerclent le plateau, figurant à la fois l’échoppe de Nathan et la ville de Jérusalem. Ou ce qu’il en reste : meubles et livres couverts d’une suie épaisse, résultant de cet incendie d’où le Templier vient de sauver in extremis Recha, la fille du marchand juif. Le propos est connu, et ce petit traité de tolérance dans le style des Lumières résonne particulièrement aujourd’hui. Mais si le projet s’avère moins navrant que celui de Stemann, ce « Nathan » peine à convaincre, tant il est cousu de paradoxes : à la fois bordélique et témoignant d’une direction d’acteurs au cordeau (façon Castorf des meilleurs moments) ; illustrée par la musique live de Marius Mihalache au cymbalum, tout aussi subtile que débridée (embarrassant solo dont on a l’impression qu’il dure dix minutes) ; quand au texte, il balance entre extraits du texte de Lessing, y compris toutes les fameuses tirades (« Le Juif riche n’a jamais été pour moi le meilleur Juif. ») et modernisation parfois douteuse.

Vidéos conceptuelles, mots-clés projetés en lettres géantes en fond de scène, sirènes de guerre… : si la mise en scène multiplie les effets parfois inutiles, la dimension politique y apparaît en filigrane, en résonance directe avec l’Israël d’aujourd’hui. La vision de Petras est beaucoup plus sombre que celle de Lessing, car dans ce Babel où chacun parle sa langue (les comédiens s’expriment tour à tour en allemand, anglais, roumain…), la tolérance n’est que factice. Anti-conte philosophique, ce « Nathan » évacue la métaphysique pour ne conserver qu’un portrait au vitriol d’une humanité aussi déglinguée qu’autocentrée. C’est sans doute là où Petras est le plus pertinent, dans la construction de cette galerie de personnages médiocres : Templier à blouson de cuir, femme en voile intégral, majordome agonisant, derviche-Joker issu de « Batman »… Une mention spéciale à Sandra Gerling en Daia décalée et irrésistible. Pour conclure la pièce, lorsque toutes nos illusions se sont écroulées, il ne reste plus au Sultan qu’à empoigner une guitare électrique et à laisser sonner le riff de « Highway to hell ». Petras enfonce le clou : l’enfer, c’est bien les autres.