Un plateau blanc, épuré, investit la salle du Théâtre de la Ville, donnant déjà une sensation de vide et de lumière… un préambule tout à fait propice au spectacle qui va s’y dérouler. Lorsque le premier danseur de la troupe entre en scène, il nous emporte rapidement dans la spirale du temps, par des mouvements saccadés, isolés, évoquant une certaine perte de contrôle face à ce qui le bouscule. Appuyée par une composition musicale très rythmée et répétitive qui dépeint le sujet de façon presque évidente, la chorégraphie de Rachid Ouramdane montre un Homme soumis aux effets du temps, aux avalanches d’événements, et la grande capacité du corps à s’adapter à ces enchaînements de réactions et d’imprévus. Emportés par l’urgence et le compte à rebours incessant, les danseurs semblent tomber dans un engrenage qui les pousse fuir ou les prend par surprise. Cela n’est pas sans nous rappeler un certain « état de crise », que le chorégraphe souligne volontairement par des accélérations et accumulations de mouvements portés sans relâche par seize danseurs, qui dessinent sur cette grande toile blanche autant le chaos que la structuration induite par temps. Tout cela (presque) d’un trait et d’une seule couleur… vert espoir ?
Une déferlante presque permanente et légèrement étourdissante pour le spectateur, mais judicieusement tempérée par des tableaux plus lents où le temps se suspend pour donner la possibilité de respirer et savourer l’instant présent. Qu’il soit seul ou non, chaque danseur est à la fois Homme et Temps, particule et grand tout, créateur et victime des événements auxquels il répond. De sa tentative de contrôle naît parfois des formes claires et harmonieuses, fluides et gracieusement logiques dans leur mouvement. Toutes les nuances du temps y sont présentes, ses contrastes, sa violence et son pouvoir de délivrance, dans la peau de chaque danseur, de sa singularité, qui vient se perdre dans la masse incontournable des heures fugaces. Entre contrastes et uniformité, on ne sait plus trop où s’attarder, et que retenir de cette troublante confusion, mais les différents tableaux font sens et nous relient inévitablement au tic tac qui gît dans notre ventre et qu’on aimerait arrêter parfois pour longtemps. Au-delà de la souffrance et l’incompressibilité du temps, ce qui éclot et nous tient dans ce spectacle c’est aussi sa magie.