« …le poumon est un exemple de lacune (una) féconde : de cette cavité, de ce manque de matière, naît la respiration, de même que c’est du creux matriciel que sortent les vivants quand ils naissent. »
Pour nommer son travail, Marc Johnson cite ainsi l’anthropologue et linguiste Charles Malamoud (1) : recréer une respiration, un espace au temps suspendu, un objet fécond par sa tranquillité même… voilà la gageure. L’espace de La Maréchalerie se retrouve envahit d’une épaisse couche de terre (27 tonnes issues du Château y ont été déversées), inséminée de graminées sauvages. En grimpant quelques marches, nous achevons consciemment l’acte d’entrée dans cette lacune féconde.
La terre ainsi accumulée est travaillée selon un léger relief, creusé par les allées et venues des visiteurs qui piétinent les herbes. Les proportions du bâtiment sont complètement changées par l’arrivée de cette greffe qui remet en perspective l’acte d’habiter l’espace. Le sol surélevé oblige à se baisser pour passer sous certaines portes, dont le cadran est habituellement à la bonne hauteur. Le tapis de jeunes pousses tranche avec le bâti – la pierre, les murs blancs et les poutres anciennes. La grande baie vitrée fait rentrer une lumière bienvenue et cependant assez étrange ; en effet, c’est l’univers urbain extérieur qui éclaire cette terre, cachée dans le sein du centre d’art.
L’œuvre est vivante et immersive : l’ensemble respire et nous happe. En colonisant cet espace, Marc Johnson accompli un acte simple mais fort : il attrape le visiteur en plein élan et lui offre gracieusement cette pause métaphysique. Ainsi, l’expérience empirique est le point d’amorce d’une réflexion plus générale de l’artiste, qui s’interroge sur les enjeux contradictoires du progrès. Une voix de synthèse (logiciel de traduction de Google) répète inlassablement les trente premières pages d’un rapport commandé par la U.S. National Science Foundation and Department of Commerce (2), projetant un bilan des activités humaines. lacune féconde creuse la question du transhumanisme, de la manipulation du vivant. La Maréchalerie – transformée en incubateur d’allergènes salvateur – interroge à tâtons cette vaste question, et nous laisse penseurs.
(1) Cuire le Monde, rite et pensée dans l’Inde ancienne, La Découverte, 1989, p. 74-75.
(2) Converging Technologies for Improving Human Performance : nanotechnology, biotechnology, information technology and cognitive science, juin 2002.