Vol au-dessus d’un nid de coucou

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« Le Journal d’un fou », publié en 1835, est l’une des nouvelles les plus célèbres de Gogol. C’est le journal intime, écrit à la première personne, de Poprichtchine, un fonctionnaire de Saint-Pétersbourg qui sombre lentement dans une irrémédiable folie. Le metteur en scène hongrois Viktor Bodó a adapté l’œuvre dans un seul-en-scène magistral.

Sur le plateau, une chambre façon Van Gogh à Arles qui aurait basculé encore davantage dans une dimension parallèle : formes géométriques toutes incohérentes, meubles atrophiés et bancals, réalité aussi disjointe que les lattes du plancher. La scénographie, conçue par le comédien Tamás Keresztes lui-même, est méticuleuse ; chaque détail a son importance et est utilisé dans une fluidité de mouvements remarquable qui tient à un équilibre subtil entre Keresztes et ses accessoires, prenant le spectateur à témoin de son insanité.

C’est que le projet repose d’abord sur la prouesse de son protagoniste, époustouflant de justesse et d’énergie, alternant sans heurts les registres de jeu, pour finir par ressembler au « Désespéré » de Courbet. L’utilisation d’un looper pour fabriquer des textures vocales et sonores en direct, échantillonnées et montées en boucles, est ultraefficace et témoigne là encore de l’étendue du talent de Keresztes. Le plateau, véritablement tournant dans tous les sens du terme, allié à un jeu précis d’ombres et de lumières, nous convoque dans une atmosphère aussi loufoque qu’inquiétante, interrogeant, jusqu’à la dernière réplique, la nature du réel.

Ce spectacle maîtrisé de bout en bout, d’une grande intelligence scénique, évite le piège de l’engloutissement par la folie absurde du texte de Gogol grâce à un rythme impeccable et à une étonnante créativité sonore et visuelle. À trente-huit ans, Viktor Bodó confirme qu’il est l’un des metteurs en scène hongrois les plus inspirés du moment.