La vie - Christophe de Lage

Temps fort de cette deuxième partie de saison à Théâtre Ouvert, le festival Zoom #2 – du réel au poétique, fait le pari de présenter la relation que les artistes entretiennent avec les matériaux documentaires, à travers des mises en voix ou en espace et des lectures performances.

C’est d’abord la mise en voix de la pièce La vie n’est pas chose facile de l’auteure grecque Georgia Mavraganis, traduite par Christine Avgeris qui nous est proposée dans la petite salle en cet avant dernier jour du festival. Les élèves du CNSAD, dirigés par Eugen Jebeleanu font rebondir la parole comme on se passerait une balle brûlante ou une vidéo virale sur internet. Le texte, malgré quelques moments de bravoure, reste assez en surface et ne creuse guère les problématiques liées à l’adolescence qu’il voudrait mettre en lumière. Cependant le metteur en scène Roumain a l’intelligence d’affubler chacun de ces jeunes d’un smartphone qu’ils utilisent pour se filmer, s’évader et surtout ne pas écouter ce que l’autre a à dire vraiment. Et c’est là qu’apparaît l’évidence : ils sont le « non-choeur » d’une jeunesse hyper individualisée, qui ne se soucie du collectif que dans le jugement permanent qu’il permet de porter les uns sur les autres. Constat d’un conflit de génération mort-né qui retournerait sans cesse les armes contre ceux qui les portent.

Puis sous la coupole, c’est Mohamed El Khatib qui nous accueille et nous présente son nouveau projet, toujours sur la question du deuil et encore en cours d’élaboration intitulé C’est la vie. A nous de lire le « texte de la genèse » du projet sur la feuille de salle, en quatre minutes chrono s’il vous plaît. Cette introduction informelle, presque décalée, nous laisse dans l’état le plus juste possible, mi curieux, mi perplexe, pour recevoir ce qui suivra. Deux acteurs entrent en scène et tour à tour entament le récit de la perte réelle d’un de leur enfant. Ils multiplient les modes de narration, proposant à chaque séquence le plus adapté: témoignages vidéos, lectures d’e-mails, récits direct, avouant eux-mêmes à chaque fois qu’un autre que celui-ci serait insupportable à soutenir. Nous avançons avec eux sur la corde raide, nous posant mille questions : à quel genre de rituel sommes-nous en train d’assister ? La tragédie est-elle soluble dans l’actualité ? Cette proposition est brillante et au combien nécessaire. Elle nous tend le miroir de ce que nous venons chercher d’analgésique dans les drames fictionnels et les émotions qu’ils provoquent. Si l’on décide soudain que tout est vrai, que les acteurs parlent pour de bon, que le temps ne s’est pas arrêté quand le noir s’est fait dans la salle, serons-nous prêt à entendre et à être vraiment transformés par un acte de représentation ? S’il existe une forme de théâtre documentaire qui tend à agir sur le monde, cette ébauche de C’est la vie est une des plus raffinées qu’il m’ait été donnée de voir.