“Un, Deux, Trois”, Soley(manlou) !

Trois, précédé de Un et Deux

Photo de répétition © Agathe Poupeney

Lorsque Mani Soleymanlou reçoit une invitation de la part d’un théâtre montréalais, il ignore que cette dernière va enclencher un processus d’enquête sur la notion d’identité long de plusieurs années. Le thème proposé, « découvrir un artiste québécois issu d’un milieu culturel », le pousse à se questionner sur ses origines iraniennes, nation qu’il a fuie pour la France puis le Canada, pays patchwork au creuset souvent célébré qu’il interroge. Le spectacle débute par un monologue que l’acteur scande en indiquant les changements de scènes, où il se livre sur ses états d’âme ; il se poursuit par un duo qu’il forme avec Emmanuel Schwartz, grande asperge dégingandée qui apporte un nouveau souffle à la pièce, incarnant le « Québécois de souche » (mais lui-même navigue entre la culture anglo-saxonne et francophone).

Jouant massivement sur les ruptures – peut-être trop –, les deux comédiens se tournent en dérision et posent des questions pesantes avec joie, sans les prendre à la légère. Ainsi, des problématiques qui au théâtre risquent fort de s’engluer dans un ton humaniste de bon aloi, confortable et finalement insignifiant, prennent corps sur scène de façon, si non révolutionnaire, du moins tout à la fois touchante et divertissante. Sans tomber dans la facilité, le duo travaille sur ce qui les séparent – l’intérêt de Mani pour son histoire, ses « racines face au désintérêt de Manu ; l’Iran face à Israël, du fait de l’origine juive de son ; mais aussi sur ce qui les rapprochent – le théâtre – pour offrir une belle complicité scénique, ponctuée de moments de danse et de musiques populaires à la séduction aisée.

Le monologue (Un) devenu dialogue (Deux) continue d’aller croissant et prend une forme chorale dans la dernière partie du spectacle (Trois), qui tente de faire le portrait de la France actuelle. Les rangées de chaises vides, qui constituent la seule scénographie du plateau (permettant de signifier un interlocuteur invisible, ou bien les éternels absents de la Shoah), se remplissent alors qu’une quarantaine de nouveaux arrivants, acteurs professionnels ou amateurs, qui se font miroir de la salle.  Le « je » de la quête individuelle se noue alors à celle du « nous » d’un pays, à travers des témoignages et des scènes plus collectives, frôlant parfois la mièvrerie, heureusement contrebalancée par cette esthétique disruptive qui sape nette les passages lyriques.