La pièce est adaptée de l’œuvre de Tankred Dorst, “Merlin ou la terre dévastée”. Après avoir créé en 2016 la partie I du spectacle, le Groupe Fantômas s’est attelé à la partie II qui a été créée au Théâtre Nouvelle Génération le 1er février 2017. Le dimanche 5 février dernier, la pièce a été présentée dans son intégralité (près de six heures) au cours d’une délicieuse journée marathon…
La note d’intention de Guillaume Bailliard sur le spectacle invite à une véritable aventure : « Nous naviguerons de la dépression au burlesque, du burlesque à la mélancolie, de la mélancolie à la tragédie, de la tragédie à la catastrophe ». Le Groupe Fantômas nous propose ainsi un parcours initiatique autour du personnage de Merlin, qui va créer les conditions de possibilités de l’existence du Graal et de sa quête future. La dramaturgie est centrée autour des codes du burlesque et de la comédie tout en s’imprégnant d’une teneur mystique ineffable et ténue.
En effet, au milieu d’une esthétique du chaos qui prédomine dans la pièce, se situent des moments de mise en regard des dispositifs théâtraux. En premier lieu, la frontière entre le public et la scène s’estompe peu à peu, créant des espaces de jeu au sein même du public. En second lieu, à de nombreuses reprises se mélangent différentes techniques de jeux de masques, de déguisements et de pantomimes. Enfin, pour appréhender cet espace au cours des différents épisodes, on retrouve la prégnance très forte de la musique, qui à travers des voix, une guitare électrique et une batterie instille sans cesse à la scène quelque chose d’une urgence dramatique. Ainsi, en regard d’un comique de situation et d’une grande acuité des comédiens qui insufflent ingénieusement à leurs personnages des caractéristiques qui les rendent reconnaissables et drôles de la première à la dernière apparition (on pense ici particulièrement à François Herpeux, l’interprète du personnage de Perceval), on retrouve quelque chose d’une inquiétante étrangeté, parfois sombre et sépulcrale. La dramaturgie se centre aussi sur une recherche de représentations des personnages à travers leurs costumes qui sont ici piquées de références au contexte historique tout en gardant quelque chose d’une originalité burlesque et plaisante (le travail de la costumière Coline Galeazzi mérite donc ici d’être souligné).
La fable quant à elle se déroule comme autant de routes et de déroutes possibles, d’utopies à conquérir comme d’illusions à abandonner. En cela, l’évocation de toute cette mythologie médiévale a quelque chose de bien contemporain puisque le texte en soi est une sorte d’expérimentation de ses récits, une tentative de les saisir et de les fonder en une grande histoire, qui tout en étant exigeante est aussi l’occasion de la désacraliser. Car c’est bien avec le Merlin en prose, souvent attribué à Robert de Boron que naît la forme romanesque au début du XIIIe siècle . En cela, l’adaptation d’un de ces récits consacré au Graal par Tankred Dorst, ici reprise par le Groupe Fantômas, interroge et questionne quelque chose qui est au fondement de notre littérature et de notre culture.
Par cette première grande création, le Groupe Fantômas démontre sa capacité à entrevoir un théâtre populaire, qui ne cédant jamais à l’excès de comique, se propose plutôt de nous mener sans qu’on y prenne garde vers d’autres voies, aux seuils d’une mystique fantaisiste qui fait là la manufacture de cette épopée théâtrale.