La cie Enervé est constituée d’Eno Krojanker et de Hervé Piron. Autant dire qu’ils travaillent main dans la main, les yeux dans les yeux, que l’un marche dans les pas de l’autre jusqu’à ce que l’autre fasse volte-face et se retrouve derrière son comparse. Car si l’un semble diriger l’autre, ce n’est qu’impression.

Les deux s’évertuent à atteindre le public par tous les moyens possibles : joie, tristesse, colère, peur. Que l’art théâtral soit partagé, ou qu’il ne soit pas ! Partant de ce qui semble être la lubie de deux potes comédiens en mal d’anecdote intime – l’histoire d’un petit garçon traumatisé par la perte de son doudou – ils tentent, contre vents et marées, contre forêt de papier et ventilateurs déchaînés de rendre compte de la douleur de la perte de Nounout. Toucher le public, envers et contre tout. Le credo de nombreux comédiens est ici remis en question : toucher qui ? Pourquoi ? Comment ? Jusqu’où le public se laisse-t-il toucher pour sa propre satisfaction ? Quel intérêt y trouve-t-il ? Pourquoi serait-ce le rôle d’un acteur d’avoir de l’effet sur son public, et pas l’inverse ?

Recito, ergo sum ? La pièce pose la question de l’acteur et de sa volonté d’être sur scène entre ego et soif sincère de catharsis. Dans une débauche d’effets qui font mouche, la quête narcissique progresse entre humour décapant et cynisme dérangeant. Les « énervés » – mais ils sont plutôt relax – questionnent la relation entre les acteurs et leur public, à renfort d’interpellations et de provocations. Tissant un spectacle intelligent et drôle, ils se perdent dans les méandres d’une logique connue d’eux seuls qu’on ne peut qu’apprécier. Les deux font la paire, et puisqu’il n’y en a jamais deux sans trois, ils créent un double identitaire qui s’inspire beaucoup de Hervé et est joué par Eno. Ce troisième double entraîne la quête égocentrée dans un autre lieu, plus sombre, aux airs de totalitarisme et d’effet de groupe qui conquiert l’assistance amusée et inquiétée.

Une belle performance qui nie les difficultés de la création théâtrale, en affichant une nonchalance qui évite les écueils de la pose, pour un moment intéressant et drôle. Sans complexe.