© Mats Staub / Vidy-Lausanne

Chaque projet de Mats Staub fonctionne selon une règle simple. « 21 » : raconter les événements liés au passage vers l’âge de la majorité universelle. « Jours fériés » : méditer à une série de questions auxquelles ont ne peut répondre que par des chiffres. « Mon autre vie » : imaginer le nom porté si l’on était né de l’autre sexe.

De cette simplicité initiale, les différents exercices de style développent une profondeur de champ extraordinaire. Chaque personne interrogée ausculte les tréfonds de sa mémoire pour répondre avec calme, précision et franchise aux questions posées. Il s’ensuit une série de tableaux filmés qui jouent avec une très grande beauté du rapport entre silence et voix, intimité et universel.

La série de témoignages collectés pour « 21 » est sans aucun doute la plus bouleversante. Des dizaines d’hommes et de femmes racontent un moment charnière de leur vie qui s’entrelace à la grande histoire. Retraçant des faits s’étant déroulés de 1939 à 2015, la matière collectée par l’artiste pour constituer cette fresque anthropologique est inestimable. Les visages restent silencieux, attentifs à leur propre voix – enregistrée au préalable – qui dévoilent leur intimité. L’émotion se lit alors tout autant dans le verbe que sur les visages qui revivent les faits. Dans ce procédé de transposition entre réalité vécue, énonciation et écoute du récit détaché de leur bouche filmée, Mats Staub provoque une charge émotionnelle saisissante. Le long des quatre murs, les vidéos se transforment en peintures de portraits mouvants, aussi beaux et silencieux que lorsque le spectateur enfile le casque où résonnent leurs voix.

Il n’existe aucune règle dans la construction des différents discours juxtaposés. Chaque narration est absolument personnelle et présente tour à tour un intérêt différent : un voyage, un décès, une victoire, etc. Si l’on retrouve des dates clefs de l’Europe – à travers ses guerres et d’autres moments politiques majeurs – c’est aussi l’espace de l’entre-deux qui est ici exploré, reformant et étoffant ainsi le tissu complexe de l’histoire au long court. À la manière d’un livre-vidéo, Mats Staub dévoile des éclats de vies privées qui rayonnent non seulement en raison de leur valeur intrinsèque mais encore au regard de ce qu’il nous apprennent sur notre passé commun et nos propres questions existentielles. Une manière de renouer ensemble les jeunesses d’Europe dispersées à travers le temps et l’espace, en comparant le singulier de ces vies plurielles avec ce qui ne change jamais vraiment.