DR

Qu’une compagnie se déplace physiquement en Corée du Nord dans le but de préparer son prochain spectacle, voilà qui sidère. C’est ce qu’ont bel et bien fait les quatre comédiens de la troupe Les Clownesses, qui nous présentent leur récit de voyage sardonique. Le ravissement qu’ils feignent pour le quotidien nord-coréen est doublé d’une peur manifeste, celle que leur compte rendu soit jugé inexact et que certaines représailles s’ensuivent. Ils s’autopersuadent donc, faussement extasiés et paniqués de ne pas assez l’être. La mécanique du rire est efficace et la salle embraye.

L’intelligence du spectacle est de ne pas jouer uniquement de son objet – la famille Kim, son délirant culte de la personnalité, son dangereux appétit nucléaire –, mais aussi des transformations des quatre voyageurs au contact de la dictature ubuesque. Déstabilisés et déstabilisants, nos voyageurs s’invectivent et se braquent, se défient, se surveillent. La contamination totalitaire a eu lieu. Leur bouffonnerie déviante intéresse progressivement davantage que les tableaux nord-coréens qu’ils recréent, avec un réjouissant talent photographique pourtant (mise en scène impeccable d’Olivier Lopez). Un malaise étrange s’installe donc, on se demande jusqu’où iront les compères dans la reproduction entre eux des mécanismes de tyrannie.

La férocité aurait gagné à aller jusqu’au bout. On sent les auteurs tentés par du hors-limite sexuel (trop sage enduit de salive sur le portrait de Kim, bien timide expression de désir pour l’homme du groupe) et du hors-limite physique. Une mise en abyme de la violence aurait trouvé ici toute sa place : on a les cris, on n’a pas assez les gestes. Pourtant, un des personnages, le plus bête, aurait justifié un déferlement sadique de la part des trois autres. Le récit drolatique serait devenu une fable politique de plus grande ampleur.

Cette réserve mise à part, grâce soient rendue aux comédiens d’avoir tiré le maximum de la beauté inquiétante de leurs clowns « nord-coréanisés ». Marie-Laure Baudain, Alexandre Chatelin, Laura Deforge et Adélaïde Langlois sont remarquables d’efficacité comique tout en faisant étrangement peur, un équilibre maintenu tout au long du spectacle.