Sur le plateau, la banalité du quotidien se dévoile sans fracas. Toujours là, présente bien avant, et bien après, que le spectateur ne soit venu y fourrer son nez. Le voici d’ailleurs tout déconfit, celui à qui on avait dit, un jour, peut-être, que le théâtre c’était pour les grandes choses et que la catharsis devait faire s’envoler l’âme. « À fond » souffle le froid sur les envolées lyriques et se concentre sur une bribe d’histoire, une tranche de vie ordinaire, quelque chose de précisément insignifiant. Là est sa force.
« À fond » ne manque pas de désarçonner. Quatre personnages mènent leur quotidien, quelque part en province et à Paris. Des amis se séparent un temps ; un couple se forme l’espace d’un moment. Voilà tout. La vie passe. Sans tomber dans un versant postdramatique qui s’émanciperait radicalement de tout élément de composition classique – un texte, un lieu, une trame temporelle, des personnages –, la pièce interroge frontalement, mais de manière simple, notre rapport au récit et à l’action scénique. Que reste-t-il à dire ? Que reste-t-il à montrer ? Dans les petits riens négligeables et les non-événements qui parsèment l’existence se cache un sentiment agréable de familiarité. La banalité a du bon et elle est loin de nous laisser indifférents : que se passe-t-il après ? Qu’est-il arrivé entre deux ellipses temporelles ? La pièce nous résiste bien plus qu’on ne le croirait.
L’écriture de Lucas Henaff tombe toujours très juste, tant vis-à-vis du rythme propre au texte qu’à celui de la mise en scène. L’orchestration de ces tableaux, en apparence inoffensifs et plats, gagne progressivement une profondeur insoupçonnée. Le ton oscille entre deux esthétiques clairement définies, statisme et mouvement, qui jouent de cette impression de banalité et s’amusent de l’artifice même de l’événement. Il ne se passe pas grand-chose, et pourtant, quelque part, à un moment, quelqu’un pense à vous ou vous brise le cœur. La banalité présumée se transforme alors en délicatesse émaillée d’humour.