La jeune compagnie « Les fugitifs » livre dans son spectacle homonyme l’un des moments les plus intenses de cette deuxième édition du festival Traits d’Union. En fabuliste du monde moderne, le metteur en scène Léo Thomas s’attaque aux vicissitudes de l’être confronté à l’absurde. Malgré un propos quelquefois inégal, le geste est fort et annonce une suite prometteuse.
L’inspiration du texte se révèle d’une clarté limpide dès les premières minutes. Dans cet espace in-between, subissant le décompte inexorablement du temps tandis que rien n’arrive jamais vraiment, une farandole de personnages déambule. Ce qui y est dépeint apparaît comme une réaction épidermique, viscérale, gutturale à la situation actuelle des réfugiés, passée par le filtre d’une merveilleuse poésie. C’est tout un monde qui se trouve contenu dans les gorges et l’apparition soudaine de symboles avec, en premier lieu, l’extraordinaire personnage du Prophète. La magie du verbe éclate dans l’air, contrastant avec l’expérience que font les personnages du dépouillement : celui du corps, de la pitance quotidienne puis, celle des idées, menant à la révolte.
Le fil conducteur tient assez brillamment la mise en scène qui fourmille d’idées. Souhaitant embrasser l’univers tout entier à la manière d’un Rabelais en soif de l’existentielle moelle, celle-ci n’échappe cependant pas à certaines digressions. Mais si le jeu faiblit par moments, ce n’est que pour triompher à nouveau, quelques instants plus tard. Elle sacre alors la figure esthétisée du clochard, sous sa forme prophétique ou de Pierrot Lunaire, sous le front du poète inspirée ou de truand désabusé. Dans cette fuite sans fin, inexorable disparition des êtres immobiles, Les fugitifs propose une vision touchante du réel, jouant de manière ironique, tendre ou absurde avec les représentations résiduelles d’un monde à la dérive. On retrouve ça et là des accents de chefs-d’œuvre parmi lesquels la marque d’une inspiration beckettienne ou encore de fugaces images empruntées aux Enfants du paradis.