(c) Olivier Perola

Dans le dispositif immersif imaginé par la Winter Family et porté par la voix de Ruth Rosenthal, nous voici invités à visiter la Shuhada street, artère principale de la zone H2 d’Hébron, ville palestinienne administrée par Israël où résident actuellement plus de trois cent mille Palestiniens et environ trois cent colons israéliens.

Sous nos yeux, une longue table-rue vide qui se remplira tout au long de ce monologue d’une heure, à la manière d’une maquette d’architecte : petites répliques blanches de maisons, magasins, café, temple, checkpoints, viennent trouver leur place, déposés délicatement par la main de Ruth Rosenthal. Une apparence d’ordre, donc, à laquelle répond l’éclatement d’une parole monologuée qui « saute », comme d’une fréquence radio à une autre, de la voix d’un Palestinien à celle d’un soldat israélien, de celle d’un observateur international à celle d’un colon, dans une indifférenciation temporelle et historique qui contraste avec la localisation précise de chaque élément convoqué. Ruth Rosenthal donne la voix à tous, et pourtant les partis pris se révèlent dans une perspective qui dépasse l’idéologie. Là, dans ce temple, un colon juif s’est marié, et la main de la comédienne portant une alliance devient sa main. Là, un homme palestinien qui possède un café est obligé de passer tous les jours les mêmes contrôles, les même checkpoints. On nous brandit un passeport. Là, un pogrom a eu lieu en 1939. Là, un enfant palestinien a été écrasé, et le portable qui circule montrant une petite photographie nous fera détourner rapidement les yeux. Nous retiendrons les anecdotes, les témoignages de ces habitants d’H2 recueillis par la Winter Family et donnés par la voix de la comédienne, l’éclat de l’alliance et sa poésie peut-être involontaire, qui surnagent au milieu de toutes les références géopolitiques et historiques dont la confusion – réelle et dramaturgique – ne permet pas de saisir grand chose du conflit israélo-palestinien hormis sa tragédie renouvelée et son inextricabilité. Des anecdotes devenues bribes de récits, qui donnent à ce spectacle toute sa raison d’être et toute sa force, celle d’une pluralité d’individualités qui survivent malgré tout et qui ont un passé, un présent, un futur.