© Dominique Bouchard

On sait que, au début des années 20, Lénine a pris des cours de thérémine, et qu’il voulut en faire un symbole de l’URSS moderne : sans doute y était-il question de maîtrise des forces brutes et contradictoires qui circulent et s’affrontent. Bien qu’Anne Thériault ait, dans la séquence finale, formalisé un clin d’oeil aux origines russes de l’instrument, elle a laissé la révolution au placard. Ce qui l’intéresse, c’est le maniement de l’étrange. Elle rejette le dogme de l’autodiscipline qui, traditionnellement, convoque un interprète immobile, aux mains près, devant des flux d’ondes électriques – soyons précis : un oscillateur hétérodyne à tubes électronique – pour laisser libre jeu aux corps, transformés ici en archet mouvant glissant sur ces étranges volutes énergétiques.

Dans cette électro vintage dédoublée par des boucles synthétiques et un jeu d’orgue ancrés dans un décor de brocante seventies posée sur une moquette pelucheuse, Thériault et ses deux comparses Virginie Reid et Rosie Contant proposent un récital sans queue ni tête, désossé, habité par des présences à peu près indifférentes à l’espace-temps extérieur à elles. Cette beauté ésotérique est à la fois envoûtante et vaine, tant elle esquive, par excès de formalisme et ludisme dévoyé, la transe immédiate et charnelle que le thérémine, déposé au cœur de cet incroyable écrin qu’est le « Balcon » de l’Église Saint-James, aurait pu générer dans l’intimité de ce salon musical rétro auquel on était prêt à s’abandonner corps et âme.