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En France, les spectacles de théâtre immersif sont suffisamment rares pour qu’ils soient remarqués. Encore plus rares sont ceux qui parviennent à se hisser à hauteur d’une véritable expérience scénique forte et originale : c’est le cas de “Smoke Rings”, une réussite du genre, en ce moment au Ciné XIII Théâtre.

Sébastien Bonnabel et la compagnie du Libre Acteur ne se sont pas appuyés par hasard sur le texte “Ring” de Léonore Confino (2009). Cette série d’une vingtaine de saynètes, décortiquant des micro-situations de la vie intime de couples ordinaires d’aujourd’hui, se prête parfaitement à leur projet kaléidoscopique qui mène son public dans une déambulation à l’intérieur du théâtre montmartrois, dont chacun des espaces a été reconverti en plateau éphémère. Les huit comédien.nes déploient un éventail de personnages convoqués dans des moments-clés de leurs rencontres ou leurs confrontations, campés dans un jeu ultra-réaliste. Si l’on s’arrêtait là, on aurait à faire à du théâtre psycho-social malin et drôle, mais pas spécialement original.

Là où la machine scénique devient magistrale, c’est dans cet “immersif” accolé au projet, qui prend ici une dimension fascinante. Guidé par des instructions sommaires mais jamais gênantes ou coercitives, assis ou debout autour des comédiens, le public est convié à assister aux scènes dans une position située à mi-chemin entre celle de figurants et de voyeurs. Les enchaînements sont fluides et le rythme excellent, palliant le caractère volontiers décousu du texte en recréant une dynamique narrative nouvelle par l’entrelacement des différents espaces, des lumières (la plupart des scènes sont tamisées – voire carrément dans le noir), et de la musique. Celle-ci, vitale au projet, est parfaitement intégrée à la dramaturgie, qu’elle soit une bande-son vintage ou des chansons jouées en live par les comédiens eux-mêmes (y compris après la représentation !). Tous sont d’ailleurs au plus juste, dans une énergie entière et décuplée par le dispositif de proximité, permettant d’échapper aux dérives parfois sitcomesques façon “Un gars / une fille” des dialogues originels.

Nous avons déjà parlé dans I/O Gazette de projets immersifs, notamment les célèbres “Sleep No More” ou  “Then She Fell” à New York, ou encore les récents “Fragments” de la compagnie slovaque Spitfire ou “Sanctuary of Truth” de Kate Krolle. “Smoke Rings”, avec nettement moins de moyens et d’ambitions esthétisantes, réussit le pari compliqué de faire vivre au spectateur un shot d’émotions simples et pures, concentrées sur des enjeux tout à la fois banals et essentiels. En ressortant à l’air libre, au bout de deux heures de plongée dans un espace-temps aussi familier que légèrement décalé du nôtre, comme dans un rêve lucide, on ne peut que ressentir cette “urgence de vivre” dont parle Sébastien Bonnabel. Pourquoi s’en priverait-on ?