Une dernière danse

Ce qui est fascinant dans la création de Mathieu Bertholet c’est le focus, induit par une construction très particulière, vers ce tout ce qui n’est pas montré. Pourtant, l’imposante scénographie et la présence de nombreux comédiens sur scène devraient, dans une conception traditionnelle du rapport spectacle / spectateur, concentrer l’attention des regards. Mais il n’en est rien et ce ballet d’individus interchangeables qui arpentent le fantasme suranné de l’hôtellerie de luxe suisse répètent indéfiniment sans ordre imposé les gestes et les mots qui justifient leur présence voire leur existence. Du soupir de contemplation à l’expiration du dernier souffle, c’est à notre réception du paysage (réel et culturel) et à comment nous tentons de l’apprivoiser et de l’intégrer à une logique de consommation à taille humaine que ce luxe et ce calme sont dédiés. Mais la volupté de ces montagnes, sujet central de la pièce, n’est présente que dans l’imaginaire commun partagé. Nous contemplons en spectateurs étrangers la beauté de cette masse minérale qui dépasse infiniment ce qui serait simplement ou biologiquement nécessaire à la vie. Cette représentation naturelle n’attend aucun récepteur, elle émet une puissance esthétique dans le vide. Simplement, elle apparaît. C’est à cette problématique d’anthropologie esthétique que s’attaque l’auteur en opposant la majestueuse puissance visuelle des Alpes à celle construite des hommes qui paradent pour être vus. Le grand escalier du grand hôtel comme catwalk privilégié. La parure implique le monde ; à quoi bon les couleurs extravagantes et sublimes des êtres des abysses, puisqu’à ces profondeurs océaniques l’obscurité est totale ? Que ce paysage puisse s’affranchir de tout regard c’est affirmer l’antériorité du spectacle sur le spectateur, de l’expression sur la perception subjective. Ces alpages existaient avant qu’un regard puisse les admirer et continueront à narguer les nuages bien après la disparition du dernier public. C’est en substance le trajet emprunté sur scène : de l’émerveillement à la mort, cette pensée à contraintes (au sens oulipien du terme) impose le charme oublié de l’humilité.