Combats de terres et de chiens

Tchekhov à la folie

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Avec la compilation des deux meilleures « plaisanteries » de Tchekhov (« La Demande en mariage » et « L’Ours »), Jean-Louis Benoît s’immisce à nouveau entre la commedia italienne et la bande dessinée, fracassant à maintes reprises le décor breloquant qu’encadre la boîte à chaussures du Poche Montparnasse, intimisme privilégié pour cette folie russe totalement enthousiasmante. Loin de ces êtres de papier qui, dans « Un pied dans le crime » (précédente production de l’ancien directeur de la Criée), déchiraient des panneaux de pages blanches, les créatures tchekhoviennes sont pour le metteur en scène des « gens vrais » dont le comique, quelles que soient les voies dramaturgiques qu’il emprunte, est toujours plaqué sur du vivant blessé. Dans ces terres où l’argent périme joyeusement la bonté des cœurs, c’est une mélancolie certes plus primaire mais d’autant plus bouleversante qui irrigue les deux petites comédies de Tchekhov, construites sur un même retournement dramatique mis à chaque fois en avant par l’œil aux mille visages d’Émeline Bayard (qui s’impose décidément comme la grande révélation comique de cette saison parisienne), lorsqu’elle tente de retenir ses fâcheux visiteurs. Rare est la vis comica qui capte à elle seule toute l’attention du monde, magifiée de surcroît lorsqu’une estrade de poche la rend si palpable. Rares aussi sont les acteurs capables d’offrir une fantaisie organique à de telles plaisanteries, dans ses replis corporels les plus fantasmatiques (comme ceux que contrefait génialement le souffreteux Manuel Le Lièvre dans « La Demande en mariage ».) Sous l’autocollant antimouche accroché à ce plateau sans cintres, Tchekhov se montre alors hors de lui, avec ses héroïnes « toujours en noir » qui délaissent ironiquement le deuil de leur vie. Ces trois immenses comédiens, dont la tonicité tonitruante est déchirée par de belles échappées silencieuses, donnent lieu à un spectacle trop court de pur théâtre, dans une grande tradition comique qui revit au présent.