© A. Julien

Est-ce de la danse ? Est-ce du théâtre ? Peu importe. Martine Pisani réunit, le temps de quelques représentations, le danseur Theo Kooijman – qui semble tout droit sorti du Tanztheater de Wuppertal – et un chœur d’amateurs qui a travaillé pendant quelques heures seulement avec elle. Ce dernier s’installe progressivement. Des femmes et des hommes envahissent le plateau et un public naît face à nous. Nous les regardons. Ils nous regardent. Ils sont dans la lumière et nous sommes dans la pénombre. Leurs gestes sont nos gestes. Les jambes se croisent, se décroisent, les corps s’affaissent, les bouches baillent. On attend le héros. Il surgit et vient occuper ce territoire entre le choeur et nous, cet espace qui, il y a quelques minutes encore quand le plateau était vide, n’existait pas et qui se déplacera durant la pièce au gré des errances du groupe et de leurs chaises. Nous sommes là, dans un face-à-face avec nous-mêmes, tentant de donner du sens aux propositions génialement abracadabrantesques du danseur soliste qui parfois s’absente, disparaît et ne nous laisse, pour seul réconfort, que le reflet de notre propre désarroi dans tous ces visages qui nous font face.

Ce qui est fascinant dans le travail de Martine Pisani, c’est la manière dont le mouvement, qui est l’essence même de la danse et du théâtre, vient construire la narration et permettre à chaque membre du chœur de développer sa singularité propre sans pour autant faire exploser le groupe. Réussir à bâtir cela en quelques heures à peine avec des amateurs relève de l’exploit artistique.

Durant toute la pièce, notre regard va et vient du danseur soliste, qui tente d’exister par tous les moyens, au groupe de spectateurs dont nous scrutons les visages et les corps. On se surprend à suivre le mouvement brusque d’une jambe ou le déplacement d’un bras, d’une main. Nous sommes spectateurs de leur étonnement, de leur joie, de leur perplexité, car nous sommes aussi tour à tour perplexes, joyeux ou étonnés. Le coup de force est si bien réussi qu’on en vient à se demander si, en applaudissant ce chœur irrévérencieux, on ne s’applaudit pas soi-même…