Entre les murs

Ils n'avaient pas prévu qu'on allait gagner

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Aller à la rencontre de ceux « qu’on ne veut pas voir », montrer le sort des « laissés pour compte », tel est le projet de Christine Citti et de Jean-Louis Martinelli, qui créent à la MC93 « Ils n’ont pas prévu qu’on allait gagner ». L’écriture du texte par Christine Citti est née d’une immersion dans un foyer d’accueil d’urgence pour mineurs, il y a trois ans de cela. Venu avec l’idée de faire du théâtre avec les jeunes, le tandem formé par Jean-Louis Martinelli et Christine Citti s’est retrouvé confronté à la « très grande instabilité » inhérente au lieu pour finalement être cantonné au rôle de simple observateur. Christine Citti a donc passé des jours durant au foyer, postée entre le canapé et la table basse, à découvrir, observer, consigner le quotidien explosif et bouleversant de ce microcosme d’adolescents à l’abandon.

C’est d’ailleurs toute l’intelligence du parti pris. Au lieu de questionner l’échec du théâtre à interagir parmi ces trajectoires de vie chaotiques, Christine Citti a choisi de mettre en scène ses propres déambulations au foyer. Présente au plateau, elle donne ainsi à voir les interrogations – agressives ou affectives – que sa présence suscite, ses liens avec les éducateurs, les brusques confidences ou les accès de rage des pensionnaires, dont elle a été, presque malgré elle, la dépositaire. Sont ainsi évoqués, au travers du prisme du personnage d’Emmanuelle, l’« intervenante théâtre » incarnée par Christine Citti, le rapport des adolescents à la drogue, à la prostitution ou les violences dont ils ont été les victimes. Une mise en abyme pudique, presque dénuée de commentaire, qui fait la part belle aux fragments de vie des jeunes hébergés. Ces derniers sont interprétés avec énergie par une équipe de comédiens en voie de professionnalisation – dont certains sont issus du Conservatoire national supérieur d’art dramatique.

On pourrait regretter parfois que l’écriture – hyper-naturaliste – se confronte à une trop grande stylisation de la mise en scène, qui perd un peu le spectateur sur les conventions théâtrales, oscillant entre le documentaire et la fiction réaliste. Les séquences de danse boxées qui entrecoupent les scènes soulignent, par exemple, de façon un brin trop appuyée les frustrations refoulées et la violence latente qui habitent les occupants du foyer. Les bribes d’histoire rapportées sont si fortes et si rares sur un plateau qu’elles se suffiraient à elles-mêmes. Car le spectacle témoigne sans détour d’une urgence, puissante et nécessaire, de porter la réalité de ces destins cabossés à la scène.