Il y a ce côté rebelle qui fait tendrement sourire. Cette performance de marionnettiste qui fascine. Et puis, il y a aussi un certain embarras face à la vacuité du sujet dont essaient de s’emparer les artistes. Sans convaincre sur le fond, « Chambre noire » présente un autre intérêt, de nature formelle ; or, la dialectique déséquilibrée entre le premier et le second ne cesse de confondre le spectateur.
Car « Chambre noire » revendique un point de départ soi-disant radical et pourtant des plus « mainstream » à l’heure actuelle : une plongée dans la vie grunge de Valérie Jean Solanas, jeune américaine psychologue et psychotique qui aurait défendu un féminisme politique assumé avant l’heure. Quelles que soient les attentes diverses du public face au sujet, le geste déceptif de la pièce se cristallise essentiellement dans le fait que la promesse originelle n’est jamais tenue. Vendue comme la découverte d’un être étonnant et révolutionnaire, « Chambre noire » ne dévoile, in fine, qu’un semblant d’histoire et de psychologie réchauffés. Où donc est la « complexité » annoncée ? L’enquête sur la condition humaine ? Le regard acide sur notre société ?
Contrariante, la pièce l’est d’autant plus qu’elle n’avait nullement besoin de se farder d’autant de prétextes. Sous la surface bon chic bon genre d’une trame narrative ennuyeuse et d’un propos inconsistant, les artistes font affleurer un véritable talent pour la mise en scène et le jeu avec la matière, qu’il s’agisse de celle de la lumière ou encore des marionnettes. Si la fougue de « La Faculté des rêves » de Sara Stridsberg dont est inspirée la pièce réussit à transparaître, c’est parce que Yngvild Aspeli et Paola Rizza déroulent intelligemment le fil visuel et sonore qui agite la prose du roman suédois. Le talent de la marionnettiste est évident et c’est là que tout le charme opère. Empruntant au fantastique, à l’onirique, la platitude du propos initial prend enfin une tout autre dimension, sculpturale et presque mystique.