Le minou de Schrödinger

La Collection

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Miracle annoncé ou papillotage racoleur, le nouveau spectacle de Ludovic Lagarde faisait planer un doute pinterien avant l’heure, tant le quatuor de comédiens qu’il réunit relève tout simplement du fantasme théâtral. En entrant dans l’écrin mythique des Bouffes du Nord, on est d’abord surpris que la belle scénographie d’Antoine Vasseur ripoline tout le génie du lieu en le transformant en simple boîte noire. Divisé en deux intérieurs péninsulaires, son décor remise la cabine téléphonique imaginée par Pinter en travaillant un contraste plus saisissant entre la blancheur aseptisée du ménage aseptisé des Horne à Jardin, où un néon vertical fait office d’audace décorative, et la sombre colocation (et collection) décadente de Harry et Bill à cour, espace ouvert au lointain et dans les hauteurs sur des ailleurs énigmatiques.

Entre la désaffection bourgeoise des galeristes (Valérie Dashwood et Laurent Poitrenaux) et le dandysme patibulaire des deux compères (Mathieu Amalric et Micha Lescot), une moiteur sourde et toxique circule entre les deux espaces, dans cette commune présence des mondes et des vérités possibles que la mise en scène de Lagarde travaille dans une perspective moins verbale que spectaculaire. En choisissant une pièce courte et peu bavarde du dramaturge britannique, qui regorge de pauses silencieuses, gestuelles et musicales, le metteur en scène fait de la dramaturgie cérébrale de Pinter une matière organique (très accueillante pour la danse du ventre de Micha Lescot et l’engagement corporel d’Amalric et de Poitrenaux). Si « La Collection » est une pièce sur la force évocatrice et dévastatrice du langage, capable de façonner et de remodeler à lui seul toute une vérité, Lagarde fait du théâtre lui-même un art quantique où tout est à la fois représentation et défiguration, présence et absence (comme lorsque l’escalier tortueux de la maison de Harry fait apparaître en négatif, grâce à la pantomime de Poitrenaux, l’hôtel fictif du Libre-Échange).

À la hauteur de sa distribution alléchante, le spectacle déclenche pourtant un léger ennui, inhérent sans doute au motif quelque peu galvaudé qui sous-tend l’intrigue, produisant moins de vertige interprétatif que d’autres labyrinthes pinteriens (l’énigme adultérine, que l’on a revue maintes fois depuis, même chez Zeller…). Ces quatre géants, qui emmènent énergiquement le texte dans tous ses recoins mélancoliques et vaudevillesques (n’ayant pas peur de jouer lourdement avec le mot « minou » en présence d’une femme), écorchent peut-être malgré eux le motif vaporeux et fragile qui hante son tapis, offrant un spectacle plus diffus que réellement polysémique.