Le noir qui manque à la lumière

Vient d’abord le concept. L’idée de départ proposée aux artistes par Olivier Bertrand, directeur de la Chapelle-Scènes contemporaines de Montréal, est de se servir d’un album de musique comme point d’ancrage d’une création scénique. Et c’est avec « Different Trains », de Steve Reich – œuvre composée en 1988 pour quatuor à cordes et bande magnétique –, que la chorégraphe Clara Furey nous invite à une méditation philosophique. Sans qu’il s’agisse pour autant d’un spectacle autour de l’Holocauste, le poids de l’histoire suinte dans chaque élément très plastique qui habite le plateau. Un mur en fond de scène comme une accumulation dense de feuilles calcinées, noir comme les souvenirs, épais comme une forêt maudite, profond comme le trou noir qui suit le chaos, sera le lieu de toutes les projections, la lumière venant parfois esthétiser l’abîme. Céline Bonnier tente alors de dialoguer avec le silence qui fait écho à la musique de Reich. Dans un langage chorégraphique minimaliste, elle donne un corps aux hypothèses, devenant le train, devenant la machine à broyer, refusant les parures de deuil sans pour autant résister à l’appel de l’engloutissement. En résulte une pièce qui, si elle interpelle sur le sujet et les choix dramaturgiques audacieux, laisse à distance le spectateur, qui lutte pour rester présent à ce qui se joue. La scène inaugurale, qui, par sa beauté formelle – une grand-voile noire agitée comme un drapeau ou un linceul moule la silhouette, laissant entrevoir alors par fulgurances une figure drapée comme une statue de gisant hurlant dans la nuit –, happe attention et émotion, suffirait presque à traduire les intentions. Les développements qui suivent s’étendent, s’épanchent aussi, et diluent peu à peu la force de cette première image.