(c) Geert Jan Jansen, d’après Rembrandt.

Par Geert Jan Jansen

Portrait of an unknown man
Je me suis glissé incognito dans la salle du 104, un peu après les autres. De mon siège, j’ai admiré sur scène l’immense cimaise qui présente des toiles de maîtres – Chagall, Monet, Rembrandt, Renoir… J’ai souri : je déteste le feu des projecteurs, j’aime le secret et le silence de la peinture. Et pour une fois, je n’ai rien à faire. Que regarder et écouter le soliloque de l’acteur, ce « conférencier » qui raconte le cas d’un célèbre faussaire, et demande : qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui est faux ? A partir du moment où la peinture est mimesis (représentation), pourquoi l’imitation d’un tableau aurait-elle moins de valeur que l’original ? Illusion, art, arnaque : où est la frontière ? Ce qui est certain, c’est que la thématique n’a rien de novateur (je me souviens en passant de “Vérités et Mensonges”, ce film extraordinaire d’Orson Welles…). Mais la scénographie est intéressante : une cloison composée d’une multitude d’écrans où alternent reproductions de peintures et articles de journaux sur cet artiste méconnu, qui a défrayé la chronique dans les années quatre-vingt dix après la saisie de mille six cents copies de maîtres dans sa maison du Poitou… Drôle d’histoire.

Portrait of the artist as an old man
Le « conférencier » nous présente alors le fameux faussaire in persona : le grand, le célèbre, le génial Gert Jan Jensen, le presque-égal des Picasso, Matisse et Manet… Mais franchement, qui peut y croire, avec un masque aussi grossier ? J’avais pourtant insisté sur la qualité, condition sine qua non de l’illusion réussie. Je scrute dans la salle les visages autour de moi : n’y en aura-t-il pas un pour crier « ceci n’est pas GEERT JAN JENSEN » ? Mais non, ils boivent les paroles de mon double imparfait (pardon, Luk, cher assistant, mais on sait bien que tu es incapable d’imiter autre chose que mes signatures). Et ces philistins applaudissent lorsqu’on finit par leur montrer l’envers du décor et leur révéler que GEERT JAN JENSEN, le plus grand faussaire du XXe siècle, n’est pas sur scène !? Ils vont au théâtre, mais à la fin on les rassure, on les cajole… Ils refusent le trouble dans lequel nous jette l’illusion lorsqu’elle est parfaitement accomplie. – Au fond, ils n’ont rien compris, personne ne m’a compris : ils peuvent bien montrer du doigt les faussaires, ce sont eux qui passent leur vie à copier, et sans le talent qui les distinguerait un tant soit peu. Mais ce qui compte avant tout, je l’ai compris trop tard : c’est de signer de son propre nom.