Capitalisme et schizophrénie

Teatro Amazonas

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Avec trois spectacles, le premier, « Extranos Mares Arden », créé en 2014, le deuxième, « Tierras del Sud », en 2018, et le dernier, « Teatro Amazonas », sorti cette année, Laida Azkona Goni et Txalo Toloza-Fernandez, formés l’une à la danse et l’autre à la vidéo, explorent à travers cette trilogie intitulée « Pacifico » l’histoire coloniale de l’Amérique latine. La dernière création en date, « Teatro Amazonas », nous conte l’histoire du Brésil de Christophe Colomb à Bolsonaro, sur fond de critique acerbe du capitalisme étatique.

« Teatro Amazonas » se noue autour du lieu éponyme construit à Manaus, au cœur de la forêt amazonienne, à la fin du xixe siècle. Plus qu’une mise en abyme, la présence narrative de ce théâtre dans la pièce devient le noyau – l’épicentre – du récit ou des récits historiques. Les différents rushes de Txalo Toloza-Fernandez, capturés sur place, certaines images d’archives ainsi que des extraits de « Fitzcarraldo », d’Herzog (lui-même tourné en Amazonie, et où il raconte la construction du Teatro Amazonas), occupent un large écran en fond, alors que les deux interprètes, tour à tour, incarnent les différentes voix de l’histoire du Brésil. La narration est profondément polyvoque, retraçant la complexité de l’Histoire (avec sa « grande hache ») coloniale. Les deux comédiens dessinent au fur et à mesure le fleuve Amazone avec des bandes de scotch rouge, puis des villes. Un paysage se construit sous nos yeux : celui terrible de l’hubris capitaliste. « Notre geste politique, c’est de poser des questions », affirment-ils dans un entretien réalisé par Yaël Kreplak en avril 2020. Ce « théâtre documentaire » interroge ce qui a construit le Brésil contemporain. Les deux artistes montrent bien qu’au cœur de cette forêt « poumon de la planète », l’Amazonie, vient se jouer le destin de nos imaginaires et de certaines de nos luttes politiques ; en témoigne l’émoi suscité par les incendies des années 2000 et de la seconde moitié du xxe siècle. Bien que les deux artistes prennent position (ils s’abstiennent, et avec beaucoup d’humour et d’intelligence, de rester « neutres » ou « objectifs »), les différents médiums utilisés et les différentes opinions exprimées rendent compte des entrelacs temporels et culturels qui font l’histoire et la mémoire. C’est compliqué. Mais cette œuvre transmédia, entre installations, vidéos et témoignages, n’évite pas l’écueil du rapport « catalogue », où se mêlent une multitude de récits et d’informations auditives et visuelles qui peinent à se vivre comme un ensemble cohérent, et à justifier le médium scénique.